Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[ocr errors]

mon devoir apostolique et pour entraver l'exercice des droits de ma souveraineté temporelle, je ne veux pas qu'on m'enlève le cardinal. Ce fut en mai 1809, que Napoléon mit le comble à cette persécution, en datant de Vienne, où il venait d'entrer, un décret qui incorporait définitivement les Etats romains à l'empire français. Le 10 juin, l'artillerie du château Saint-Ange gronda pour annoncer la chute du gouvernement pontifical. Le drapeau français fut mis à la place de celui du pape. Le décret d'incorporation fut publié à son de trompe dans tous les quartiers de la ville. Dès le 11 au matin, la bulle suivante fut trouvée affichée à trèsgrand nombre d'exemplaires sur les murs de la ville papale, sans que la police française, qui était très-active, put savoir par qui elle avait été placardée. Elle commence par ces mots: Quum memoranda illa die,... Le pape énumère les empiétements successifs du gouvernement français sur le saint-siége, il en signale les tendances, et se plaint amè rement d'avoir à souffrir de telles violences de la part d'un souverain et d'un peuple auxquels il a témoigné tant d'affection: « Nous nous souvenions, avec saint Ambroise, que le saint homme Naboth, possesseur d'une vigne, interpellé par une demande royale de donner sa vigne, où le roi, après avoir fait arracher les ceps, ordonnerait de planter des légumes, avait répondu : Dieu me garde de livrer l'héritage de mes pères! De là nous avons jugé qu'il nous était bien moins permis de livrer notre héritage antique et sacré, ou de consentir facilement à ce que qui que ce fût s'emparât de la capitale du monde catholique, pour y troubler et détruire la forme du régime sacré qui a été laissée par Jésus-Christ à sa sainte Eglise, et réglée par les canons sacrés qu'a établis l'Esprit de Dieu; pour substituer à sa place un code non-seulement contraire aux saints canons, mais encore incompatible avec les préceptes évangéliques, et pour introduire enfin, comme il est d'ordinaire, un autre ordre de choses qui tend manifestement à associer et à confondre les sectes et toutes les superstitions avec l'Eglise catholique. Naboth défendit sa vigne, même au prix de son sang, remarque saint Ambroise. Alors pouvions-nous, quelque événement qui dût arriver, ne pas défendre nos droits et les possessions de la sainte Eglise romaine, que nous nous sommes engagé, par la religion d'un serment solennel, à conserver autant qu'il est en nous ? Pouvions-nous ne pas revendiquer la liberté du siége apostolique, si étroitement unie à la liberté et aux intérêts de l'Eglise universelle?

« Plût à Dieu que nous pussions, à quelque prix que ce fût, et même au prix de notre vie, détourner la perdition éternelle, assurer le salut de nos persécuteurs que nous avons toujours aimés, et que nous ne cessons pas d'aimer de cœur ! Plût à Dieu qu'il nous fût permis de ne jamais nous départir de cette charité, de cet esprit de mansuétude que la nature nous à donné, et que

notre volonté a mis en pratique, et de laisser dans le repos cette verge qui nous a été attribuée dans la personne du bienheureux Pierre, prince des apôtres, avec la garde du troupeau universel du Seigneur, pour la correction et la punition des brebis égarées et obstinées dans leur égarement, et pour l'exemple et la terreur salutaire des autres ! Mais le temps de la douceur est passé..... Si nous ne voulons pas encourir le reproche de négligence, de lâcheté, que nous reste-t-il, sinon de mépriser toute raison terrestre, de repousser toute prudence de la chair, et d'exécuter ce précepte évangélique : Si quelqu'un n'écoute pas l'Eglise, qu'il nous soit comme un païen et un publicain. Qu'ils apprennent une fois, comme dit Grégoire de Nazianze, qu'ils sont soumis par la loi du Christ à notre empire et à notre trône. Car nous aussi nous exerçons un commandement, et même une puissance supérieure, à moins qu'il ne soit juste que l'esprit le cède à la chair, et les choses du ciel à celles de la terre. Autrefois tant de souverains pontifes, recommandables par leur doctrine et leur sainteté, en sont venus à ces extrémités contre des rois et des princes endurcis, parce que la cause de l'Eglise l'exigeait ainsi pour l'un ou pour l'autre de ces crimes que les saints canons frappent d'anathème; craindrons-nous de suivre enfin leur exemple, après tant d'attentats si méchants, si atroces, si sacriléges, si connus et si manifestes à tous ?...

« A ces causes, par l'autorité du Dieu toutpuissant, par celle des saints apôtres Pierre et Paul, et par la nôtre, nous déclarons que tous ceux qui, après l'invasion de cette illustre ville et du territoire ecclésiastique, après la violation sacrilége du patrimoine de saint Pierre, prince des apôtres, entreprise et consommée par les troupes françaises, ont commis dans Rome et dans les possessions de l'Eglise, contre l'immunité ecclésiastique, contre les droits temporels de l'Eglise et du saint-siége, les excès ou quelques-uns des excès que nous avons dénoncés dans les deux allocutions consistoriales susdites (16 mars et 11 juillet 1808), et dans plusieurs protestations et réclamations publiées par notre ordre; tous leurs commettants, fauteurs, conseillers ou adhérents, tous ceux enfin qui ont facilité l'exécution de ces violences, où les ont exécutées par eux-mêmes, ont encouru l'excommunication majeure et autres censures et peines ecclésiastiques portées par les saints canons et constitutions apostoliques, par les décrets des conciles généraux, et notamment du saint concile de Trente; et au besoin, nous les excommunions et anathématisons de nouveau.....

« Mais, dans la nécessité où nous nous trouvons d'employer le glaive de la sévérité que l'Eglise nous a remis, nous ne pouvons néanmoins oublier que nous tenons sur la terre, malgré notre indignité, la place de celui qui, en exerçant sa justice, ne cesse pas d'être le Dieu des miséricordes. C'est pourquoi nous défendous expressément, en

vertu de la sainte obéissance, à tous les peuples chrétiens, et surtout à nos sujets, de causer, à l'occasion de ces présentes lettres, ou sous quelque prétexte que ce soit, le moindre tort, le moindre préjudice, le moindre dommage à ceux que regardent les présentes censures, soit dans leurs biens, 'soit dans leurs droits ou prérogatives. Car, en leur infligeant le genre de punition que Dieu a mis en notre pouvoir, en vengeant ainsi les nombreux et sanglants outrages faits à Dieu et à son Eglise sainte, notre unique but est de ramener à nous ceux qui nous affligent aujourd'hui, ain qu'ils partagent nos afflictions, si Dieu leur accorde peut-être la grâce de la pénitence pour connaitre la vérité. Ainsi donc, levant nos mains vers le ciel, dans l'humilité de notre cœur, nous recommandons à Dieu la juste cause pour laquelle nous combattons, puisqu'elle est la sienne plutôt que la nôtre; nous protestons de nouveau que, par le secours de sa grâce, nous sommes prêt à boire jusqu'à la lie, pour le bien de son Eglise, ce calice que lui-même a voulu boire le premier pour elle; en même temps nous le prions, nous le conjurons par les entrailles de sa miséricorde, de ne pas mépriser les oraisons et les prières que nous adressons jour et nuit pour leur repentir et leur salut. Certainement, il ne brillera pas pour nous de jour plus fortuné et plus consolant que celui ou nous verrons la miséricorde divine nous exaucer, et nos fils, qui nous envoient aujourd'hui tant de tribulations et de causes de douleur, se réfugier dans notre sein paternel et s'empresser de rentrer dans le bercail du Seigneur. » Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809, on amassa tout ce qu'on put parmi les mécontents de la populace romaine et on se disposa à donner l'assaut au palais du pape. Le principal d'entre ceux des Romains qui prirent part à cette manifestation, fut un portefaix nommé Bossola, lequel avait été chassé pour vol du palais papal. Ce fut lui qui servit de guide aux autres. S'il faut en croire les écrivains Pacca, Picot et Artaud, ce fut à la tête d'une troupe de galériens, de sbires, et d'un certain nombre de gendarmes, que le général de gendarmerie Radet envahit, le 6 au matin, le palais du pape. Il lui notifia, de la part de l'empereur, l'ordre de renoncer à sa souveraineté temporelle. « Le domaine temporel appartient à l'Eglise, répondit Pie VII, nous n'en sommes que l'administrateur. L'empereur pourra nous mettre en pièces, mais il n'obtiendra jamais cela de nous. Après tout ce que nous avions fait pour lui, nous ne nous attendions pas à ce traitement. »

Le général ayant dit au pape qu'après ce refus il devait le conduire au général Miollis, et que, s'il le voulait, il pouvait emmeser son ministre, le cardinal Pacca, le pape et le cardinal partirent. A la porte du palais, on les fit monter dans une voiture qu'un gendarme ferma à clef; mais au lieu de se reudre vers le général Miollis, le cortége sortit de la ville par la porte Salara, d'où,

par un circuit, on vint à la porte del Popolo, où se trouvaient des relais qu'on avait commandés.

Le pape et le cardinal, qui ne s'attendaient pas à être ainsi enlevés, se demandèrent mutuellement s'ils avaient pris de quoi subvenir aux frais du voyage. Le pape avait dans sa bourse vingt-deux sous de France. Le cardinal en avait environ seize. Ils partirent de Rome à quatre heures du matin, pour gagner la Toscane. Aux premiers relais, dans la Campagne-de-Rome, dit le cardinal Pacca, nous pûmes remarquer, sur la figure du peu de personnes que nous rencontrions, la tristesse, la stupeur que leur causait ce spectacle. A Monterosi, plusieurs femmes, sur les portes des maisons, reconnurent le saint-père, que les gendarmes escortaient le sabre nu, comme un criminel, et nous les vimes, imitant la tendre compassion des femmes de Jérusalem, se frapper la poitrine, pleurer, crier, en tendant les bras contre la voiture: «Ils nous enlèvent le saint-père !» Nous fùmes profondémentémus à ce spectacle qui, du reste, nous coûta cher; car Radet, craignant que la vue du pape enlevé de cette façon n'excitat quelque tumulte, quelque soulèvement dans les lieux populeux, pria Sa Sainteté de faire baisser les stores de la voiture. Le saint-père y consentit avec beau coup de résignation, et nous continuames ainsi le voyage, renfermés dans la voiture, presque sans air, dans les heures les plus brûlantes de la journée, sous le soleil d'Italie, au mois de juillet; vers midi, le pape témoigna le désir de prendre quelque nourriture, et Radet fit faire halte à la maison de poste, dans un lieu presque désert, surla montagne de Viterbe. Là, dans une chambre sale, espèce de bouge, où se trouvait à peine une chaise disjointe, la seule peut-être qui fût dans la maison, le pape s'assit à une table recouverte d'une nappe dégoûtante, y mangea un œuf et une tranche de jambon. Surle-champ on se remit en route: la chaleur était excessive, suffocante; vers le soir le pape eut s if, et, comme on ne voyait aucune maison près de la route, un maréchal-deslogis de gendarmes recueillit dans une bouteille de l'eau de source qui coulait sur le chemin, et la présenta au saint-père, qui la but avec plaisir. Il but ainsi de l'eau du torrent sur le chemin, comme il est dit dans le psaume. Nulle part, depuis Monterosi, on ne put voir quel était le prisonnier enfermé dans la voiture, ce qui donna lieu à une anecdote curieuse. Tandis qu'on relayait à Bolosena, un Père franciscain, qui était loin de croire que le pape allait tout entendre, accosta Radet près de la voiture et lui dé clara son nom, en lui rappelant qu'il avait été avec lui en correspondance épistolaire. et qu'il lui avait recommandé un certain avocat de Rome. Radet se trouva fort embarrassé pour lui répondre, et le pape, se tournant vers le cardinal, lui dit : « Oh! quel coquin de moine 1 » Après dix-neuf heures d'une marche forcée, si fatigante pour le saint-père, à cause d'une cruelle infirmité à

laquelle était contraire toute espèce de fatigue, et surtout celle du voyage, nous arrivâmes, vers une heure avant minuit, à Radicofani, premier endroit de la Toscane, et nous descendîmes dans sa mesquine auberge, où rien n'était préparé. N'ayant pas d'habit pour changer, il nous fallut garder ceux que nous avions, tout baignés de transpiration, et à l'air froid qui domine là, même au cœur de l'été, ils se séchèrent sur nous. On nous assigna, au saint-père et à moi, deux petites chambres contiguës, et des gendarmes furent placés aux portes de deyant. Dans mon habit de cardinal, j'aidai la servante à faire le lit du pape et à préparer la table pour le souper. Le repas fut extrêmement frugal. Pendant tout ce temps je tâchai de soutenir l'esprit du saint-père. Ce jour-là même, octave de saint Pierre, toutes les prières de l'Eglise annonçaient ce dont nous étions témoins, et toutes étaient faites pour inspirer la confiance et le courage. On lisait dans l'Evangile que la nacelle qui portait les apôtres sur le lac de Génésareth fut assaillie d'une violente tempête et tourmentée par les flots, parce que le vent était contraire, mais que bientôt Jésus-Christ apparut sur les ondes agitées et fit taire la tempête. Dans l'office, on récitait au second nocturne les belles et éloquentes leçons de saint Chrysostome, dans lesquelles il félicite les apôtres Pierre et Paul de leurs travaux, et se réjouit des souffrances qu'ils ont endurées pour nous, en s'écriant: «Que dirai-je maintenant ? que puis-je dire désormais en considérant ces souffrances? Que de prisons n'avez-vous pas sanctifiées ! que de chatnes n'avez-vous pas honorées! que de tourments n'avez-vous pas illustrés Réjouissez-vous, ô Pierre ! Divin Paul, réjouissez-vous ! » A cette consolation que l'Eglise offrait en ce jour aux fidèles s'en joignait une particulière pour moi: c'est que le pape, loin de donner aucun signe, de proférer aucune parole qui indiquât un repentir des pas courageux faits contre Napoléon, développait au contraire une énergie, une force d'âme, qui m'émerveillaient.

Il parlait toujours à Radet avec une dignité de souverain, quelquefois même sur un ton d'indignation si dur et si sévère, que je dus le prier modestement de se calmer et de reprendre son caractère de mansuétude et de douceur. Après avoir été rejoints par les serviteurs du pape, nous partimes de Radicofani, vers les sept heures du soir, le 7 juillet; et nous trouvâmes à quelque distance une foule nombreuse que l'on avait repoussée à l'auberge. Radet fit arrêter la voiture et permit à tous de s'approcher pour recevoir la bénédiction du saint-père, et quelques-uns même lui baisèrent la main. Il serait difficile de peindre la ferveur, la piété de ce bon peuple et de toutes les populations de la Toscane. Nous voyageâmes toute la nuit, et le 8 juillet, vers la pointe du jour, nous arrrivâmes aux portes de Sienne. Des chevaux de poste et une forte escorte de gendarmerie nous attendaient hors de la ville. Radet ne dissimula pas au

pape qu'il avait pris toutes ces précautions dans la crainte que le peuple siennois ne se soulevât à son passage; et il lui dit que peu de jours auparavant on avait remarqué quelque fermentation dans cette ville à l'arrivée du vice-gérant de Rome, Mgr Fenaia, patriarche de Constantinople, qui était luimême conduit par des gendarmes. Radet voulut nous faire reposer à Poggibonzi pendant les heures les plus brûlantes de la journée. Arrivés à l'auberge, le pape et moi nous restâmes plus de vingt minutes sans pouvoir descendre, parce que l'officier de gendarmerie, porteur de la clef de la voiture, était resté derrière avec l'équipage. Radet permit à quelques personnes d'entrer dans l'auberge pour se jeter aux pieds du souverain pontife. Après quelques heures de repos, nous reprimes la route de Florence, au milieu d'un peuple immense qui demandait, avec des signes extraordinaires de ferveur, la bénédiction apostolique; mais à quelque distance de l'auberge, les postillons, qui nous menaient très-vite, n'aperçurent pas une petite élévation sur laquelle se porta une des roues; la voiture versa avec violence, l'essieu cassa, la caisse roula au milieu du chemin, le pape engagé dessous, et moi sur lui. Le peuple qui pleurait et criait : Santo Padre! saint-père! releva en un instant la caisse; un gendarme ouvrit la portière, qui était toujours fermée à clef, tandis que ses camarades, pâles et défigurés, s'efforçaient d'éloigner le peuple, qui devenu furieux, leur criait: Cani! Cani! Chiens! chiens! Cependant le saint-père descendit, porté sur les bras du peuple qui se pressait aussitôt autour de lui; les uns se prosternaient la face contre terre, les autres lui baisaient les pieds, d'autres touchaient respectueusement ses habits comme s'ils eussent été des reliques et tous lui demandaient avec empressement s'il n'avait point souffert dans sa chute. Le saint-père, le sourire sur les lèvres, les remerciait de leur intérêt, et ne leur répondait qu'en plaisantant sur cette chute. Pour moi qui craignais que cette multitude en fureur n'en vint aux mains avec les gendarmes et ne se portât à quelque excès dont elle aurait été la victime, je m'élançais au milieu d'elle en críant que le ciel nous avait préservés de tout mal, et que je les conjurais de se calmer et de se tranquilliser. Après cette scène qui avait fait trembler Radet et ses gendarmes, le saintpère monta avec le cardinal dans la voiture de Mgr Doria, et ils repartirent. C'était un spectacle attendrissant de voir sur tout notre passage ces bons Toscans demander la bénédiction du saint-père, et, malgré les menaces des gendarmes, s'approcher de la voiture pour lui baiser la main et lui témoigner toute leur douleur de le voir dans cette cruelle position. « Vers une heure de nuit, continue le cardinal Pacca, nous arrivâmes à la Chartreuse de Florence. Le saint-père fut reçu sur la porte par un colonel de gendarmerie et par un commissaire de police. Le prieur seul eut la permission d'approchér

et de complimenter le saint-père; toutes les autres personnes furent repoussées, même les religieux du couvent qui en furent profondément affligés: nous nous trouvions environnés de gendarmes et d'officiers de po lice, qui, sous prétexte de nous être utiles, ne nous perdaient pas de vue. On conduisit le saint-père dans l'appartement où, dix ans auparavant, l'immortel Pie VI avait été retenu en otage. Lorsque Pie VII y arriva en 1809, la Toscane était gouvernée par une sœur de Napoléon, Catherine, mais alors Elisa Bonaparte, sous le nom de grande-duchesse. Elle envoya complimenter Pie VII à la Chartreuse et lui faire les offres d'usage. Mais à peine le pape et le cardinal étaientils couchés depuis deux heures, qu'on les fit lever par ordre de la princesse Elisa, et partir sur-le-champ, le pape pour Alexandrie, le cardinal pour Bologne. Le saint-père eut à peine le temps de demander un bréviaire au prieur de la Chartreuse! >>

Tout le voyage du pape jusqu'en France fut une sorte de triomphe; les populations se pressaient pour le voir; ceux qui pouvaient lui rendre quelqu'un de ces petits services dont les voyageurs ont besoin, s'estimaient fort heureux. S'il l'eût voulu, Pie VII aurait vu les paysans le délivrer des mains des soldats qui le conduisaient. A Grenoble, toute la garnison de Saragosse, qui était prisonnière de guerre, vint au-devant de fui, lui demander sa bénédiction. Le clergé de la ville, qui avait demandé la même faveur, se la vit refuser. De Grenoble, le pape partit pour Valence. De Grenoble on avait fait partir le cardinal Pacca pour la forteresse de Fenestrelle. Les sentiments de la plus vive piété éclatèrent dans tous les lieux de la Provence que traversa le pape. A Savone, le cardinal Doria, qui passait pour se rendre à Paris, ne put obtenir de voir le pape. Ce fut dans cette ville qu'un chambellan de l'empereur offrit au saint-père cent mille francs par mois, lui forma une maison, lui acheta une vaisselle, une livrée, et l'engagea à accepter tout ce qui convenait à la représentation qu'il était obligé de tenir. Pie VII refusa tout, et se tint renfermé dans ses appartements. Il avait des surveillants, qui ne permettaient pas qu'il parlât, ni qu'il écrivit, si ce n'est en leur présence. Napoléon persécuta aussi tous les cardinaux, en les faisant venir tous à Paris, afin d'y être mieux maître d'eux, et de n'avoir pas à les redouter en cas d'une vacance du saint-siége. Le cardinal Antonelli mourut dans son exil à Sinigaglia, où on l'avait transféré de Spolète. Le cardinal Casoni n'obtint de rester à Rome, que parce qu'il était malade. Carafa, infirme, eut la permission de demeurer à Tolentino. Le cardinal Braschi obtint de rester à Césène, parce qu'il était fort malade de la goutte. Le cardinal Crivelli eut Milan pour lieu d'exil; le cardinal Corandini, Modène. Le cardinal Della Porta venait en France, quand il tomba malade à Turin et y mourut. À l'exception de ces cardinaux, et de deux

autres qui étaient napolitains et qui échappèrent à l'exil, Caracciolo, parce qu'il était malade, et Firrao, parce qu'il accepta une place d'aumônier du nouveau roi de Naples, tous les autres furent amenés en France. Il en est un autre, le cardinal Locatelli, qu'il ne faut pas compter. Il demeura tranquille à Spolète, en achetant son repos par des complaisances qui ne trouvent d'excuse que dans l'état de maladie qui avait considérablement affaibli ses facultés.

Après la paix de Vienne, conséquence de la bataille de Wagram, Napoléon revint à Fontainebleau le 26 octobre 1809. Là, il eut avec l'abbé Emery une conférence dans laquelle il manifesta son intention de faire venir le pape à Fontainebleau, disant que s'il causait seulement un quart-d'heure avec lui, il trouverait moyen d'arranger les différends qui étaient entre eux. Le moyen, c'était de laisser toutes choses ecclésiastiques reprendre leur cours naturel, et de cesser de tourmenter le pape et les cardinaux par des prétentions impossibles; c'était de rendre chacun d'eux à sa position, à ses fonctions; de faire cesser la persécution persévérante depuis plusieurs années. Napoléon n'avait pas pour but de détruire l'Eglise catholique. Il voulait l'asservir à ses volontés, et faire du pape un instrument de sa politique. Sur ces entrefaites, le pape refusant toujours de donner des bulles aux évêques institués en France, l'empereur nomma une commission ecclésiastique composée des cardinaux Fesch et Maury, de Louis-Mathias de Barral, archevêque de Tours, des évêques Canaveri de Verceil, Bourlier d'Evreux, Mannay de Trèves, Duvoisin de Nantes, du P. Fontana, général des Barnabites, et de l'abbé Emery. Il voulait que cette commission pourvût aux besoins des Eglises, en se passant du pape pour l'institution des évêques. L'évêque Duvoisin surtout, homme fort adroit, confident de Napoléon, était le plus apte à amener par ruse, par obsession, par fatigue, le saint-père aux concessions qu'on désirait obtenir de lui. Plusieurs cardinaux se prêtaient au même rôle. Caprara peut être cité comme étant de ce nombre. On en peut juger par la réponse que lui fit le pape, de Savone, en août 1809.

« Nous avons reçu ici, le 19 août, votre lettre datée du 20 juillet, par laquelle, comme archevêque de Milan, vous nous dites que Sa Majesté l'empereur des Français désire que nous accordions l'institution canonique aux évêques désignés pour remplir les siéges vacants dans ses Etats. Vous ajoutez que Sa Majesté consent à ce que dans nos bulles nous ne fassions aucune mention de sa nomination, pourvu que de notre part nous supprimions la clause proprio motu, ou toute autre équivalente. Pour peu, monsieur le cardinal, que vous réfléchissiez sur cette proposition, il est impossible que vous ne voyiez pas que nous ne pouvons y acquiescer sans reconnaître le droit de nomination à l'empereur et la faculté de l'exercer. Vous dites que nos bulles seront accor

dées, non à ses instances, mais à celles du conseil et du ministre des cultes. D'abord l'Eglise catholique ne reconuait pas de ministre des cultes dont l'autorité dérive de la puissance laïque; et puis, ce conseil, ce ministre ne sont-ils pas l'empereur lui-même? Sont-ils autre chose que l'organe de ses ordres et l'instrument de ses volontés? Or après tant d'innovations funestes à la religion que l'empereur s'est permises et contre lesquelles nous avons si souvent et si inutilement réclamé, après les vexations exercées contre tant d'ecciésiastiques de nos Etats; après la déportation de tant d'évêques et de la majeure partie de nos cardinaux; après l'emprisonnement du ca dinal Pacca à Fenestrelle, après l'usurpation du patrimoine de Saint-Pierre; après nous être vu nous-même assailli à main armée dans notre palais, traîné de vilie en ville, gardé si étroitement, que les évêques de plusieurs diocèses que nous avons traversés n'avaient pas la liberté de nous approcher et ne pouvaient nous parler sans témoins; après tous ces attentats sacriléges et une infinité d'autres qu'il serait trop long de rapporter, et que les conciles généraux et les constitutions apostoliques ont frappés d'anathème, avons-nous fait autre chose qu'obéir à ces conciles et à ces mêmes constitutions, ainsi que l'exigeait notre devoir? Comment donc aujourd'hui pourrions-nous reconnaître, dans l'auteur de toutes ces violences, le droit en question, et consentir à ce qu'il l'exerçât? Le pourrions-nous, sans nous rendre coupable de prévarication, sans nous mettre en contradiction avec nous-même, et sans donner lieu de croire, au grand scandale des fidèles, que, abattu par les maux que nous avons soufferts, et par la crainte de plus grands encore, nous sommes assez la che pour trahir notre conscience et approuver ce qu'elle nous force de proscrire? Pesez ces raisons, monsieur le cardinal, non au poids de la sagesse humaine, mais à celui du sanctuaire, et vous en sentirez la force. Malgré un tel état de choses, Dieu sait si Dous désirons ardemment donner des pasteurs aux siéges vacants de cette Eglise de France que nous avons toujours chérie de prédilection, et si nous désirons trouver un expédient pour le faire d'une manière convenable aux circonstances, à notre ministère et à notre devoir! Mais devons-nous agir, dans une affaire de si haute importance, sans consulter nos conseillers-nés? Or, comment pourrions-nous les consulter, quand, séparé d'eux par la violence, on nous a ôté toute communication avec eux, et, en outre, tous les moyens nécessaires pour l'expédition de pareilles affaires, n'a ant pu même jusqu'à présent obtenir d'avoir auprès de nous un seul de nos secrétaires? Mais si l'empereur aime véritablement la paix de l'Eglise catholique, qu'il commence par se réconcilier avec son chef; qu'il renonce à ses funestes innovations irreligieuses, contre lesquelles nous n'avons cessé de réclamer; qu'il nous rende la liberté, notre siége et nos officiers; qu'il DICTIONN. DES PERSECUTIONS. II,

restitue les propriétés qui formaient, non notre patrimoine, mais celui de Saint-Pierre; qu'il replace sur la chaire de saint Pierre son chef suprême, dont elle est veuve depuis sa captivité; qu'il ramène auprès de nous quarante cardinaux que ses ordres en ont arrachés; qu'il rende à leurs diocèses tous les évêques exilés, et sur-le-champ l'harmonie sera rétablie. Au milieu de toutes nos tribulations, nous ne cessons d'adresser les plus ferventes prières au Dieu qui tient tous les cœurs en så main, et de l'invoquer pour l'auteur de tous ces maux: nous croirions nos peines abondamment récompensées, s'il plaisait au Tout-Puissant de le ramener à de meilleurs sentiments; mais si, par un secret jugement de Dieu, il en est autrement, nous gémirons au fond de notre cœur sur les maux déplorables qui pourront arriver, et l'on ne pourra, sans injustice, nous les imputer. Nous ne négligerons rien de ce qui sera en notre pouvoir pour les détourner, et nous y apporterons toute l'attention et tous les ménagements possibles. Quant au bruit qu'on affecte de répandre, que nous compromettons les choses spirituelles pour des intérêts purement temporels, c'est une calomnie qu'il vous est aisé de confondre, Monsieur le cardinal, vous qui, jour par jour, avez su tout ce qui s'est passé. D'ailleurs, vous savez très-bien que, quand il ne serait question que de l'usurpation du patrimoine de Saint-Pierre, nous ne pourrions en abandonner la défense sans manquer à un devoir essentiel et sans nous rendre parjure. A votre lettre en était jointe une de M. le cardinal Maury, et on m'en a remis en même temps une troisième de Mgr l'évêque de Casal, toutes trois pour le même objet. Nous accusons à ce dernier réception de sa lettre, et l'engageons à se faire communiquer cette réponse. Nous nous réservons d'écrire plus amplement à M. le cardinal Maury, dès que nous en aurons le loisir; en attendant, communiquez-lui nos sentiments, et recevez notre bénédiction paternelle et apostolique. »

La commission fut chargée de s'occuper du gouvernement de l'Eglise en général, du Concordat, des églises d'Allemagne et d'Italie, de la bulle d'excommunication. Fontana refusa de siéger, et l'abbé Emery refusa de signer les réponses de la commission aux questions qui lui avaient été soumises. Les prélats justifièrent l'empereur de toutes ses agressions, agissant en cela plutôt en courtisans qu'en ministres de l'Eglise. Puis elle renvoya devant l'officialité primatiale de Lyon l'affaire du divorce de Napoléon avec Joséphine. Là encore on voulait se passer du pape. A la suite des décisions qui intervinrent, Napoléon, le 2 avril 1810, épousa l'archiduchesse Marie-Louise. Les cardinaux assistèrent au mariage civil à Saint-Cloud, mais il n'en fut pas de même de la cérémonie religieuse, où treize d'entre eux refusèrent d'assister. L'empereur en fut si irrité qu'il défendit à ces treize prélats de s'habiller en rouge. Ils furent exilés, Mattei et

21

« ZurückWeiter »