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bytérianisme 1»; au-dessous de l'évêque des évêques, les évêques, que les passions pourront attaquer encore, mais qu'elles n'attaqueront plus en se couvrant de Rome, juges et gardiens de la doctrine dans leurs diocèses; le clergé de l'ancienne France, Bossuet et Saint-Sulpice en tête, glorifié; l'excès partout répudiée; les idées flottantes et obscures du siècle fixées au point exact, dans la clarté; tout prétexte enlevé à la science et à la liberté pour ne pas être chrétiennes avec fierté; le parti catholique cédant la place à la grande famille des honnêtes gens, enfants connus ou inconnus, conscients ou inconscients de l'Evangile, les uns qui « ont la foi avec ses ressources », et les autres qui l'attendent et l'attirent « par leur sens juste et leur cœur droit 2 »; et le pacte d'alliance offert par le Vicaire du Christ à toutes les sociétés qui, sous les régimes les plus variés, amoureuses du droit et ambitieuses du progrès, veulent vivre loyalement avec Dieu et vivre toujours.

L'âme sévère de Mgr Guibert fut tout illuminée par l'avènenent de ce Pape médiateur qui se levait dans nos ténèbres, tenant, avec le flambeau de la Vérité, celui de l'Espérance. Mais un doute l'oppressait même les nations protestantes en guerre contre l'Eglise, comme l'Allemagne et la Suisse, désarmaient; déjà saisie << par la secte qui a juré sa ruine religieuse et morale », la France, la catholique France serait-elle seule à ne pas répondre à l'avance de la Providence? Il avait une inquiétude voisine de l'effroi; il avait beau les repousser de ses yeux, il voyait la déchéance et la décadence. Les images virgiliennes sur les terres épuisées et souillées par les harpies, et, plus encore, les malédictions bibliques contre les dons de Dieu méprisés lui revenaient à la mémoire. En ces temps où le pus de la Révolution française semble s'être concentré et comme décomposé encore dans notre ignoble gouvernement d'aujourd'hui, c'est une douleur d'avoir, une fois de plus, à répéter inutilement ce qu'il y a plus de cent ans, au début de cette interminable Révolution, à la veille des temples profanés, des autels renversés, des prêtres massacrés, exilés ou déportés, notre ambassadeur à Rome, le cardinal de Bernis, écrivait en décembre 1790, sous le pontificat de Pie VI destiné à mourir captif sur notre sol: « Si l'on aimait le bien, la paix et l'ordre; si l'on était de bonne foi; si l'on était attaché à la religion qui, seule,

Lettre de Mgr Guibert, du 7 mars 1853, citée par le P. Delaporte dans les Etudes du 5 mars 1897.

2 Voy. l'admirable Bref du Pape Léon XIII à l'évêque de Grenoble, 22 juin 1893.

3 Expressions de Léon XIII, dans le Bref à l'évêque de Grenoble.

est l'appui de toute autorité et de toute forme de gouvernement; jamais Pape n'a été plus porté à la conciliation que celui-ci. >>

Lorsque la guerre impie commença, le cardinal Guibert avait près de quatre-vingts ans. Mgr Dupanloup était mort; Mgr Pie, qui se taisait, allait bientôt mourir. Le vieillard se trouvait le personnage le plus considérable de l'Eglise de France; et il fut le plus éloquent. Sa foi lui redonna la jeunesse. Inébranlable et mesuré; prêt à toutes les négociations comme à toutes les résistances; n'offrant pas de prise à l'attaque et visant au cœur l'opinion publique; habile à laisser l'iniquité sans excuse; il était le bouclier et le glaive de la cause sacrée. Pas une atteinte au droit, pas une offense à la justice, pas une blessure à la liberté, qu'il n'ait dénoncées en des lettres d'une argumentation serrée et d'une indignation contenue, adressées au Président de la République, aux Chambres ou aux fidèles. Dans une lettre comme testamentaire, écrite en 1886, peu de mois avant sa mort, au président Carnot, il lui disait : « Permettez à un vieil évêque, qui a vu changer sept fois le régime politique de son pays, permettez-lui de vous dire une dernière fois ce que lui suggère sa longue expérience. En continuant dans la voie où elle s'est engagée, la République pourra faire beaucoup de mal à la religion; elle ne parviendra pas à la tuer. L'Eglise a connu d'autres périls, elle a traversé d'autres orages, et elle vit encore dans le cœur de la France. Elle assistera aux funérailles de ceux qui se flattent de l'anéantir. »

Les lettres du cardinal Guibert sur les affaires de l'Eglise méritent de rester comme des modèles classiques d'éloquence chrétienne. Rien de plus achevé en leur genre, rien qui soit plus d'un évêque; sa manière était unique et inimitable parce qu'elle tenait à l'homme lui-même, tel que la nature et la religion l'avaient fait. C'est à tort qu'on a supposé des collaborateurs à Mgr Guibert : il n'aurait pu emprunter à autrui sans s'appauvrir ni s'affaiblir; la richesse ou la souplesse, la fougue ou l'éclat, qu'il aurait demandés à des mains étrangères, même à des génies supérieurs, auraient altéré sa force originale et simple. Le secret de son art était si bien le sien qu'il l'a emporté avec lui. Le style du cardinal, qui, par la proportion savante entre l'idée et l'expression, faisait l'admiration de M. Guizot et des meilleurs juges, avait pris quelque chose de lapidaire. C'était grave, calme et puissant; par-dessus les rumeurs de Paris affairé, bruyant et dissipé, cette parole qui sortait du sanctuaire, résonnait comme le bourdon de Notre-Dame, ou plutôt comme la voix auguste de la raison.

Aux vertus qui imposent, le cardinal joignait les qualités qui attachent. Il avait l'enjouement, la bonhomie et la naïveté. Il avait

des délicatesses exquises dans l'amitié. Il aimait les enfants. I aimait les pauvres. A mesure qu'il approchait du terme, la transparence de son âme rayonnait de plus en plus sur ses traits; il rappelait les beaux vers de son contemporain de 1802, Victor Hugo, que, dans une lettre touchante, il aurait voulu assister sur son lit de mort :

Le vieillard qui revient vers la source première,

Entre aux jours éternels et sort des jours changeants!
Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l'œil du vieillard on voit de la lumière.

Et tandis que la grande ombre s'amassait déjà sur le front vénéré, on songeait au vers symboliquement sublime du poète sur le ciel apaisé des nuits :

Une immense bonté tombait du firmament.

La pensée du saint prêtre habitait depuis trop longtemps au delà des choses de la vie, pour ne pas affronter le redoutable passage avec une humilité sereine et confiante. Nous le vîmes dans ses derniers jours; il était près de sa table de travail, encore debout, un peu voûté, recevant les visites d'adieu qu'il ne rendrait pas. Sa parole avait toujours été lente, comme s'il écoutait sa conscience avant de parler; elle était plus lente que de coutume, avec un accent profond et tendre. Il nous dit : «< Tâchez de servir l'Eglise ; le peu que j'ai fait pour elle est mon meilleur souvenir de ce monde et ma meilleure espérance pour l'autre. » A l'heure sonnée de Dieu, il disparut dans la mort, comme le grand prêtre disparaissait derrière le voile du temple, qui cachait le Saint des Saints.

H. DE LACOMBE.

LE SECRÉTAIRE

DE MADAME LA DUCHESSE'

M. de Montengibert à la baronne Courvoisier.

Au château de Boissy-sous-Clerval.

Sainte-Périne, le 25 août.

Il y a trente ans, chère Madame, que, profitant de la bienveillance dont m'honoraient les plus jolies femmes de Paris, je leur présentais un orphelin dont le plus grand mérite consistait à se nommer le duc de Clerval. A cette époque, il était fort jeune, pauvre comme les rats de son château, et pas beaucoup plus expérimenté qu'eux dans l'art de faire des dettes. Quant à moi, un peu moins jeune, je possédais une expérience considérable en cette matière et en d'autres. J'ai servi de père à Timoléon qui venait de perdre le sien. Je l'ai piloté pendant la période, délicate pour un jeune homme de ce type, qui commence au premier rasoir et finit au premier phaéton. Le phaéton n'était pas une merveille d'attelage il m'y promenait souvent et je peux en parler); mais ça sentait encore le Prussien dans nos rues : l'on n'était plus aussi difficile qu'au temps de Gramont-Caderousse. Et puis une couronne de feuilles de fraisier sur les harnais cache l'insuffisance des chevaux, voire même celle du maître. Il faut le croire, puisque Madeleine Méran, toute jeune, toute belle et déjà célèbre, devint folle de lui. Je dois dire à leur louange commune qu'elle en resta folle jusqu'au jour, qui vint assez vite, où des âmes charitables firent comprendre à un richissime maître de forges que sa fille était née pour être duchesse. Il faut ajouter, si l'on veut me rendre justice, que mon protégé ne suivit pas mes conseils dans la circonstance. Le malheureux Timoléon se laissa mettre la corde au cou à vingt-cinq ans. Vous connaissez votre voisine; vous avez pu voir avec quelle sûreté de main elle prit les rênes du gouvernement. Présenté à la très intelligente Alexandrine par son mari, j'en fus accueilli avec

Voy. le Correspondant des 10 et 25 décembre 1902.

une réserve qui me donna sur l'heure une haute idée de sa pénétration. Toutefois, mon ex-ami fut bon prince. Dans la suite des temps, ayant reçu mes tristes confidences sur une situation que mon âge rendait désespérée, il me procura un poste où m'attendait, avec l'honneur de faire votre connaissance, le devoir de gagner ma nourriture en écrivant quinze lettres par jour sous la dictée de Mme la duchesse.

Hélas! malgré mon humble effacement, la défiance des jours passés revint sur l'eau. J'en savais trop long sur le compte de M. le duc; je n'arrivais pas à partager l'admiration dont l'adroite Alexandrine veut l'entourer, sauf à la ressentir elle-même d'une façon moindre. Je tombai en disgrâce complète et ma perte fut résolue. Ne songeant plus qu'à noyer au plus vite le pauvre chien perclus et boiteux, on découvrit qu'il avait la rage. Bref on lui jeta, comme un os, la pension à Sainte-Périne. Le saviez-vous? Je suis porté à croire que non. Les autocrates qui envoient un déporté mourir en Sibérie ne le chantent pas sur les toits. J'ajoute qu'on ne se vante pas volontiers d'être où je suis. Mais il est si dur de ne pouvoir jamais s'offrir un cigare, ni s'asseoir à la devanture d'un café quand les vieilles jambes crient merci, au cours d'une longue promenade! La souffrance, à certains jours, est plus forte que l'orgueil; c'est pourquoi je vous révèle mon abaissement.

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Tout ceci, chère Madame, est pour en venir à cette conclusion fort mélancolique : voulez-vous me prêter deux ou trois louis? Je suis en pourparlers pour vendre un bijou de famille échappé par hasard; son prix payera ma dette. Pas besoin de vous dire que je me suis adressé aux Clerval. De sa blanche main, Alexandrine m'a répondu (ils n'ont donc pas de secrétaire?) qu'étant logé, nourri, blanchi, confessé et purgé gratuitement, je devais me tenir pour très heureux. Je voudrais bien l'y voir, et surtout Timoléon! Mais depuis qu'il est tombé sur une femme qui lui assure toutes les commodités de Sainte-Périne avec, par-dessus le marché, le plaisir de fumer de bons cigares et de faire jouer de mauvaises pièces, il a toujours marché droit, sachant ce qu'il lui en coûterait de faire un écart ou une ruade... Allons! je ne veux pas récriminer. Chère amie, soyez bonne! Je réclame de vous plus encore qu'un petit prêt d'argent prêtez une demi-heure de votre temps au pauvre exilé, qui ne sortira de son exil que pour monter en corbillard. Parlez-moi de ce Clerval où j'ai passé les dernières bonnes minutes de ma vie. La «< saison » approche. Ah! cette « grande semaine »>! Ces jolies femmes, cette musique pendant les repas (je regrette moins celle d'Alexandrine), ces illuminations, ces soupers, ces flirts! Je songerai à tout cela sous les arbres de ma cour, en

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