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Le découragement des royalistes avait fini, je l'ai déjà dit, par gagner les Bourbons eux-mêmes. Pendant les premières années de leur exil, ils s'étaient donné beaucoup de mouvement pour reconquérir leur trône. Tandis que les princes de la branche de Condé, conduisant des corps. d'émigrés dans les rangs des armées étrangères, s'efforçaient de rouvrir par la force à leur maison l'entrée du pays qu'elle avait gouverné, le chef de la famille, l'aîné des frères de Louis XVI, celui qui, dès lors, avait pris le nom de Louis XVIII et que des infirmités précoces plus encore que ses goûts et son caractère tenaient éloigné des champs de bataille, entretenait des correspondances avec les hommes sérieux du parti; il leur conférait des pouvoirs qui les autorisaient, en qualité de commissaires du Roi, à agir, suivant les circonstances, dans l'intérêt de la royauté légitime, à diriger les efforts de ses partisans et à lui rallier les personnages de quelque importance qu'on pourrait détacher de la cause révolutionnaire. Le comte d'Artois, qu'on appelait Monsieur depuis que son frère avait pris le titre de Roi, moins grave, moins politique, plus porté à l'intrigue, plus opiniâtrément attaché aux traditions de l'ancien régime et, dès cette époque, assez peu d'accord avec Louis XVIII, paraissait placer moins de confiance dans ces lentes manoeuvres que dans les conspirations et les coups de main; c'était avec lui, avec ses agents, qu'avaient été concertés ces complots si multipliés pendant les premiers temps de la domination de Napoléon, et plusieurs de ses amis les

plus intimes y avaient même pris une part active.

Expéditions militaires, intrigues politiques, complots, coups de mains, tout avait également échoué. Le mauvais succès de tant d'entreprises dont on s'était promis de si grands résultats, le châtiment de quelques-uns de leurs auteurs, l'apparente impossibilité d'ébranler le colosse de la puissance impériale devant lequel tremblait tout le continent, avaient depuis longtemps obligé les Bourbons à renoncer à toute manifestation de leurs prétentions. L'agence royaliste qui existait secrètement à Paris s'était dissoute. La protestation que Louis XVIII avait publiée à Mittau, en 1804, trois ans avant sa retraite définitive en Angleterre, et au moment même où Napoléon ceignait le diadème impérial, était le dernier signe de vie qu'il eût donné à ses adhérents. Ce qui est digne de remarque, c'est que, pour la première fois, il s'était placé, dans ce manifeste, sur le terrain où devait s'opérer plus tard le rapprochement de la France nouvelle et de l'ancienne royauté. Jusqu'alors, dans ses appels à la nation, il n'avait parlé que de rétablir les principes de l'ancienne monarchie; la sévérité de son langage, à peine tempérée par des promesses d'indulgence et de faveurs exceptionnelles pour ceux qui contribueraient à relever le trône, avait paru menacer du traitement le plus rigoureux quiconque avait joué dans les troubles révolutionnaires un rôle de quelque importance. Cette fois, les intentions qu'il exprimait étaient bien différentes: il ne promettait pas seulement l'oubli complet de tous les actes et de tous les votes politiques, il s'enga

geait de plus à conserver à chacun les grades, les honneurs, les pensions, à ménager tous les intérêts, à respecter toutes les propriétés, ce qui comprenait évidemment les propriétés dites nationales, c'est-à-dire les biens du clergé et des émigrés vendus pendant la Révolution, enfin à maintenir la liberté et l'égalité. Pour donner plus de poids à ses promesses, il déclarait les faire avec l'assentiment de tous les princes de sa famille.

Huit ans s'étaient écoulés depuis la publication de ce document lorsque les désastres de la campagne de Russie inspirèrent à Louis XVIII la pensée de se rappeler au souvenir de la France et de l'Europe, qui semblaient l'avoir également oublié; il écrivit à l'empereur Alexandre pour recommander à son humanité les nombreux soldats français que le sort de la guerre avait fait tomber entre les mains des Russes et en qui, disait-il, il voyait toujours ses enfants, malgré le drapeau sous lequel ils avaient combattu. Il ne reçut pas de réponse.

Le 1er février 4813, il publia une déclaration qui, bien plus encore que celle de 1804, révélait le changement que le temps avait apporté à son ancienne politique. Ne voulant, disait-il, tenir que des efforts de ses sujets le trône que ses droits et leur amour pouvaient seuls affermir, il appelait la nation à se jeter dans les bras de son Roi; il promettait de maintenir les corps administratifs et judiciaires dans la plénitude de leurs attributions, de laisser tous les fonctionnaires dans la jouissance de leurs emplois, d'empêcher toute poursuite pour les faits accomplis dans

des temps malheureux dont son retour scellerait l'oubli, de conserver le code souillé du nom de l'usurpateur; il invitait le Sénat, cette assemblée ou siégeaient, disait-il, tant d'hommes distingués à si juste titre pour leurs talents, à être le premier instrument du grand bienfait de la restauration; quant aux propriétés nationales, il s'engageait à chercher les moyens de concilier les droits de - tous et à donner, aussi bien que sa famille, l'exemple des sacrifices; il garantissait à l'armée ses grades, ses emplois, ses traitements et offrait des récompenses à ceux qui rendraient des services signalés à la cause royale, inséparable des intérêts du peuple français; l'abolition de la conscription militaire complétait cet ensemble de promesses qui sanctionnait, en réalité, tous les résultats matériels de la Révolution. Il est pourtant à remarquer qu'il n'y était pas question, comme dans le manifeste de 1804, d'égalité et de liberté: la longue soumission de la France au régime de l'Empire avait apparemment fait croire à Louis XVIII qu'elle ne se souciait plus de ces deux grands principes, si hautement proclamés en 1789. J'ai déjà parlé de l'émotion qui, à la suite de la retraite de Moscou et pendant la campagne de Saxe, avait commencé à se manifester parmi les royalistes. Après la bataille de Leipzig, lorsqu'on put considérer comme imminente l'invasion du territoire français, des démarches furent faites auprès des souverains alliés pour essayer de les amener à placer le rétablissement des Bourbons au nombre des résultats qu'ils se proposaient d'atteindre.

Ces démarches n'eurent aucun succès. Les puissances continentales, qui étaient bien loin alors d'avoir renoncé à traiter avec Napoléon, n'avaient aucune envie d'augmenter les difficultés de la lutte en liant leur cause à celle d'une famille qui devait rencontrer en France de nombreux adversaires. L'Angleterre seule n'avait pas cessé de considérer la restauration des Bourbons comme la meilleure garantie du repos de l'Europe. Elle eût mis quelque prix à replacer sur le trône des princes qui, dans leur exil, n'avaient trouvé que chez elle un asile assuré; mais elledevait contenir l'expression d'une prédilection qui n'avait pas d'écho dans la coalition. L'empereur de Russie, surtout, s'y montrait alors très-contraire. Aux instances des royalistes, il ne répondait que par de vagues politesses, lorsqu'il voulait bien y répondre; il s'abstenait de leur donner aucune espérance. Il disait nettement à ses alliés que les Bourbons ne lui paraissaient pas les plus dignes de régner en France, et l'on avait quelques motifs de soupçonner qu'il inclinait à appuyer les projets du prince royal de Suède, de Bernadotte, qui aspirait à remplacer Napoléon. Bien que l'Autriche fût très-hostile aux prétentions de Bernadotte, M. de Metternich n'en témoignait pas moins une extrême froideur pour l'ancienne famille royale, ce qu'on interprétait naturellement par un reste d'intérêt pour le gendre de son souverain.

L'ensemble de ces dispositions n'avait rien de bien encourageant pour les Bourbons. Ils crurent cependant pouvoir tenter la fortune.

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