D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE N° 31 2 Août 1879 Sommaire : 141. MARTIGNY, Dictionnaire des antiquités chrétiennes. 142. Smith et CHEETHAM, Dictionnaire des antiquités chrétiennes. 143. Sydow, Les manuscrits de Térence et la récension de Calliopius. 144. Morceaux choisis de Winckelmann, p. p. KÜHNE. — Chronique (France, Allemagne, Angleterre, Danemark, Hollande, Italie, Portugal, Slaves, Suisse). Académie des Inscriptions. 141. Dictionnaire des Antiquités chrétiennes contenant le résumé de tout ce qu'il est essentiel de connaître sur les origines chrétiennes jusqu'au moyen âge exclusivement, etc. Nouvelle édition, revue, modifiée, considérablement augmentée et enrichie de 675 gravures dans texte. Paris, Hachette. 1877, XXV, 830 pp. gr. in-8. L'éloge du Dictionnaire des Antiquités chrétiennes, de M. l'abbé Martigny, n'est plus à faire. On sait quelle en est l'origine. M. M. avait été primitivement chargé de rédiger la partie chrétienne du Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines entrepris par MM. Daremberg et Saglio. Mais cette partie prit un développement tel qu'il devint nécessaire d'en reconnaître et d'en assurer l'autonomie. Les deux ouvrages, dont l'un est le complément naturel de l'autre, ont certainement gagné à cette mutuelle indépendance. Tandis que le Dictionnaire classique, publié par livraisons, poursuit lentement, mais sûrement, sa marche intermittente coupée par des haltes un peu longues, le Dictionnaire des Antiquités chrétiennes, imprimé en 1864, obtient aujourd'hui les honneurs d'une seconde édition. Le nombre des gravures a été considérablement augmenté (de plus de quatre cents); c'est beaucoup, et cependant ce n'est pas encore assez. Je suis d'avis que dans un dictionnaire d'antiquités, la reproduction des monuments, et, dans un sens plus large, la figuration des choses, devraient être le principal et, par conséquent, ne sauraient être trop multipliées. En outre, au lieu d'être subordonnées au texte, d'y être semées çà et là, au fur et à mesure des besoins, les gravures devraient être réunies, groupées par séries naturelles, selon la nature des monuments, des objets, etc. Je ne suis pas partisan de cette disposition, de plus en plus à la mode aujourd'hui, qui consiste à offrir, au milieu même d'explications partielles et sans lien entre elles, l'image qui les commente ou en est commentée. Ce système est bon dans un ouvrage méthodique, dans un manuel, par exemple, un traité où les matières se succèdent en suivant un ordre logique. Il a, je crois, de réels inconvénients dans un dictionnaire archéologique procédant purement par orNouvelle série, VIII 31 dre alphabétique, car il supprime ainsi toute vue d'ensemble et rend à peu près impossible l'application de ce principe qui est l'âme même de l'archéologie : la classification et la comparaison des monuments. Si j'avais à faire un dictionnaire archéologique quelconque, je voudrais suivre un plan tout différent. A côté, et en dehors du texte ordinaire, je ferais un album d'images convenablement distribuées, par exemple suivant l'arrangement de la table analytique par ordre de matières du petit dictionnaire de Rich ou du gros dictionnaire de Smith. Des renvois numérotés d'une part, de brèves légendes de l'autre, permettraient de se transporter du texte aux images et réciproquement. Entre autres avantages, ce système aurait celui de rendre instantanément visibles pour l'auteur les lacunes, souvent très graves, qu'il est impossible d'éviter complètement avec le mode aujourd'hui usité de dissémination dans le texte. Dans des reproductions constituées en séries, la moindre lacune fait trou, saute aussitôt aux yeux et peut, en conséquence, être comblée en temps opportun. Que si l'on tenait absolument à conserver les images dans le texte, l'on devrait au moins les reprendre toutes à la fin de l'ouvrage, en les soumettant à cette répartition méthodique et en les présentant sous la forme d'une espèce de grand index graphique. Les quelques pages que l'on consacrerait à cette répétition ne seraient pas du papier perdu. Un dictionnaire archéologique ainsi conçu deviendrait un instrument à plusieurs fins dont l'utilité serait plus que doublée. Néanmoins, tel qu'il est, le dictionnaire de M. M. n'en demeure pas moins un ouvrage fort commode, qui épargnera ou facilitera beaucoup de recherches. Le principal mérite de M. M. est peut-être d'avoir su choisir et suivre fidèlement, dans ces questions parfois si délicates des antiquités chrétiennes, des guides aussi sûrs et aussi autorisés que MM. de Rossi et Le Blant. Il est, grâce à eux, remarquablement bien renseigné sur tout ce qui touche à l'archéologie chrétienne en Occident, à Rome et en Gaule. Mais là où ce secours lui fait défaut, sa marche s'en ressent un peu. Il est loin, par exemple, d'avoir la même abondance et la même correction de détails quand il est amené du côté de l'Orient. Et cependant, il y a là pour les origines du christianisme, de ses rites, de ses symboles, de son essence même, envisagée sous le rapport archéologique, des points d'une importance capitale, sur lesquels on désirerait vivement avoir des informations. Par exemple, n'eût-il pas été bon d'étudier de plus près les usages et les monuments funéraires des Juifs, pour faire comprendre certains usages et monuments funéraires chrétiens ? Ainsi M. M. ne parle nulle part des châsses à reliques, capsae, capselae : c'est là cependant un côté important de l'archéologie chrétienne. Il eût été instructif de montrer comment ces petits coffrets ont eu pour prototype, comme forme, dimensions, disposition, et ornementation, les coffrets funéraires de pierre tendre qui servaient d'ostéothèques aux Juifs en Palestine et dont on connaît aujourd'hui un assez grand nombre. Ces ossuaires juifs, avec leurs courtes et souvent équivoques épigrammes, ont dû jouer un rôle important dans ces histoires d'inventions de reliques en Palestine, si fréquentes pendant les premiers siècles du christianisme. Voici quelques notes prises en parcourant le livre de M. M., car il ne saurait être question de lire un dictionnaire d'un bout à l'autre. Ad sanctos. - Ad martyres. - On fera bien, à propos des indications fournies sur les pratiques funéraires des premiers chrétiens par le De cura pro mortuis gerenda de saint Augustin, de lire les observations judicieuses de M. Tourret dans la Revue archéologique, 1878, mars, p. 140 (au point de l'épigraphie particulièrement). Amen ne peut pas être appelé un mot grec; c'est un mot hébreu au même titre que Alleluiah dont M. M. a eu soin de signaler la véritable origine. Les paroles de saint Ambroise, citées par M. M., ne se peuvent comprendre qu'en remontant à l'hébreu : et tu dicis Amen, hoc est verum est. – Arcosolium. - Cette forme de sculpture « inconnue aux païens », et si fréquente dans les catacombes, qui consiste en une sorte de banquette ou d'auge recouverte d'un arc, n'est-elle pas un de ces emprunts faits par le christianisme primitif au judaïsme? L'arcosolium est courant dans les sépulcres juifs de Palestine. La même question se pose pour l'origine du loculus perpendiculaire à la paroi. - Christ à tête d'âne. - On aurait désiré plus d'explications sur l'origine possible de l'accusation adressée aux chrétiens, d'adorer une tête d'âne. De fait, il semble que l'adoration de l'âne a été réellement pratiquée par certaines sectes gnostiques (Epiphane., c. hær., 26, 10). J'ai recueilli en Syrie une petite pierre gravée, qui représente un personnage à tête d'animal, accompagné d'une croix, rappelant singulièrement la fameuse caricature du Christ onocéphale du mont Palatin. - Cloches. - L'usage de la planche ou de la plaque de fer frappées avec un marteau, existe encore aujourd'hui dans les pratiques des églises orientales. C'est le chy.svtpov des Grecs. Corbona ecclesiae. — M. M. renvoie à l'article Clergé, I, 1°, et explique là que la Corbona était le gazophylacium destiné à recueillir les offrandes volontaires des fidèles, autrement dit l'oblationarium dont il parle incidemment p. 534. J'ajouterai que le mot, peut-être même l'usage, doit être d'origine hébraïque (Qorbân, offrande, cf. saint Marc, VII, II : xope äv). - Croix. - M. M. glisse un peu trop légèrement sur les origines du symbole de la croix. Il y a lieu non-seulement de tenir compte de la préexistence de la croix ansée-égyptienne, mais aussi de la croix à valeur astronomique des Assyriens. M. M. aurait bien dû nous faire part, soit à ce propos, soit aux articles Monogramme du Christ ou Symboles chrétiens, de ce qu'il pensait du double x cruciforme signalé par M. de Vogüé dans une ins - cription palmyrénienne datée sûrement de l'an 135 de notre ère ! Les deux larrons. On aurait désiré avoir sur cette question un paragraphe spécial, au moins sous la rubrique Accessoires du crucifiement (p. 230). La présence des deux larrons dans l'iconographie de cette scène est un accessoire aussi essentiel que celle du soleil et de la lune à laquelle M. M. accorde avec raison quelque attention. J'essaierai même de montrer, un jour, qu'il y a un rapport intime entre les deux astres et les deux larrons. Il me suffira, pour le moment, de signaler succinctement une coïncidence bien curieuse. L'on sait que le soleil et la lune sont toujours placés à gauche et à droite de la croix, et souvent figurés par deux têtes d'homme et de femme caractérisées par les rayons et le croissant. D'autre part, le nom du bon larron, qui apparaît de bonne heure dans les Apocryphes, est Dysmas (= l'Occident, quopai= dúels, Tipos duqués). Or il existe une médaille antique (de Damas), présentant, d'un côté, la tête du soleil (radiée), de l'autre, celle de la lune (avec croissant) accompagnée respectivement des légendes ANATOAH et AYCIC. Si l'on se rappelle que très souvent les noms des acteurs ou comparses de la Passion sont, dans les anciennes images, inscrits au-dessus et au-dessous de leurs têtes, l'on entrevoit comment a dû naître le nom d'un des deux larrons, peut-être même la personnalité de tous les deux. Démon. L'article est tout à fait insuffisant. La part du diable est considérable dans le christianisme et M. M. n'aurait pas dû lui marchander la place dans son dictionnaire. Rien non plus pour l'enfer. Eglises. Rien sur la forme et l'architecture des divers édifices destinés au culte. L'article basilique ne suffit pas pour combler cette lacune. On consultera avec fruit sur cette question l'article correspondant du dictionnaire de Smith, v. Church, dont il sera parlé plus tard. Eulogie. M. M. aurait dû rappeler que ce mot désignait non seulement le pain bénit, mais aussi les huiles saintes (p. 345), comme il l'explique du reste sous cette dernière rubrique. Mais celui qui cherche au mot eulogie doit être averti de l'usage du mot, usage qu'il est censé ignorer. Nous avons vainement cherché à l'article Pain eucharistique, auquel renvoie l'auteur, la reproduction du sceau d'eulogie avec la légende ΕΥΛΟΓΙΑ ΕΥΠΟΡΙΩ. P. 319. - Sur les origines de la fête immobile de la Commémoration de tous les défunts (2 novembre), et les objections qu'on peut adresser à l'opinion soutenue par l'auteur, voir l'article déjà cité de M. Tourret dans la Revue archéologique (p. 296). Hôpitaux. — Rien sur la Bethesda, annexée à la Piscine probatique et prototype de nos hôpitaux chrétiens, même comme vocable (Maison de grâce, Charité, Pitié). - P. 345. - Sur l'Ampoule de saint Mennas et l'identité des deux animaux renversés à ses pieds, la tête en bas, se reporter à la savante 1. Syrie Centrale. Inscrip. sémit., p. 55. notice de M. Le Blant dans la Revue archéologique, mai 1878. Il y aurait à chercher, je crois, à cette image extrêmement répandue dans l'iconographie chrétienne de l'Orient, un prototype païen fort ancien (le dieu ou la déesse tenant deux quadrupèdes par la queue). Jérusalem. – Rien sur la Jérusalem chrétienne, la question des sanctuaires et autres questions intimement liées aux origines du christianisme. M. M. se borne à nous parler de Jérusalem comme cité typique de l'Eglise, et à propos de l'entrée triomphale de Jésus. Lampes. - M. M. aurait dû ajouter là la mention des lampes chrétiennes d'Algérie, de Syrie, d'Egypte, celles assez nombreuses de Jérusalem dont j'ai fait connaître, en 1868, le premier échantillon. Elles sont d'autant plus importantes qu'elles portent assez souvent des légendes ΦQC XY ΦΕΝΙ ΠΑΣΙΝ 1, ΛΥΧΝΑΡΙΑ : ΚΑΛΑ, etc. Je signalerai a M. M. sur deux lampes de provenance incertaine, encore inédites, je crois : OEOAOTIA OEOY XAPIC, et : TOY ArioY KYPIAKOC (sic). La Sainte lance. — M. M. aurait pu enregistrer, à ce sujet, l'explication proposée du nom de Longin. Monogramme du Christ. — Nous n'avons rien trouvé, là ou ailleurs, sur ces trois sigles fréquents dans les inscriptions de Syrie et encore assez controversés : XMT. Mosaïques. - Rien sur la belle mosaïque chrétienne de Tyr découverte et rapportée par M. Renan ?; sur celles si curieuses de Jérusasalem, notamment celles du Mont des Oliviers et de Sainte-Croix qui ont été relevées avec le plus grand soin, pendant ma mission de 1874, par M. Lecomte. Nativité. M. M. dit que nous ne connaissons pas de peinture antique représentant ce sujet. On peut citer maintenant la fresque de l'arcosolium de la catacombe de Saint-Sébastien, de la fin du ive siècle (Revue archéologique, août 1878, p. 83). P. 510. QIXOYCA, est-il bien un nom propre chrétien dérivé de IXOYC? N'était la place respective de Q et A, on serait tenté de voir tout simplement sur la pierre gravée citée par M. M., l'association des formules chrétiennes A Ω et ΙΧΘΥC. - Noms chrétiens. – M. M. aurait dû faire dans l'onomastique chrétienne la part de l'influence exercée par l'onomastique juive, et aussi par l'onomastique africaine (voir, sur ce dernier point, les excellentes pages de M. R. Mowat dans ses Noms anciens et modernes). 1. M. M. ne parle qu'incidemment de cette légende sous la rubrique Lux. Il aurait pu, à ce propos, rappeler la combinaison cruciforme, assez fréquente en Syrie, des deux mots ΦΩC et ΖΩΗ : Φ С 2. Enfouie dans les caves du Louvre, Qu'il nous soit permis de faire des væux pour que l'on se décide, un jour, à montrer et exposer cette magnifique mosaïque. |