140. – OEuvres complètes de Montesquieu avec les variantes des premières éditions, un choix des meilleurs commentaires et des notes nouvelles par Édouard LaBoulaye, de l'Institut. Paris, Garnier, grand in-8°, 1877-79, t. IV, V, VI et VII de 484, 498, 509 et 111-495 p. Prix : 7 fr. 50 le vol. On s'est déjà occupé deux fois ici de l'édition des Euvres complètes de Montesquieu donnée par M. Laboulaye, la première fois (no du 13 mai 1876, p. 328-332) à l'occasion du tome I (Lettres persanes), la seconde fois (no du 24 mars 1877, P. 193-198), à l'occasion du tome II (Temple de Gnide. Grandeur et décadence des Romains) et du tome III (de l'Esprit des Lois, livres I-X). Ces deux articles où ont été dites, si je ne m'abuse, les principales choses à dire sur la nouvelle édition, me permettent de rendre plus court l'article d'aujourd'hui, surtout en ce qui regarde les trois volumes consacrés à la reproduction des livres XI-XXXI de l'Esprit des Lois et des critiques et défenses de ce beau traité qui parurent en 1749 et 1750. M. L., en ces trois volumes, a continué de joindre au texte du chefd'æuvre de Montesquieu des notes claires, précises, excellentes", où tantôt il rapproche de divers passages de l'Esprit des Lois diverses opinions conformes ou contraires de Benjamin Constant, d'Algernon Sidney, d'Addison, de Blakstone, de Villemain, de J.-Jacques Rousseau, de C. de Paw, de David Hume, de l'abbé de Saint-Pierre, de Turgot, de Condorcet, etc., et où tantôt il adresse personnellement diverses observations à l'auteur, donnant parfois à ces observations une forme originale et piquante, comme, par exemple, quand il l'interpelle ainsi (t. IV, p. 13): « Faut-il encore privilégier le privilège 2 ? » Montesquieu qui, comme beaucoup d'autres grands hommes, ne dédaignait pas les jeux de mots, s'est, un jour, moqué d'éclaircissements peu éclaircissants envoyés par le chapitre de Comminges 3. C'est tout le contraire qu'il faut dire des éclaircissements du savant académicien. 2 1. On les voudrait partant un peu plus développées. C'est ainsi que (t. IV, p. 435) M. L., après avoir dit que l'authenticité du périple d'Hannon « est loin d'être prou vée, » et que a l'opinion de Dodwel n'est pas isolée, » aurait pu ajouter que la question a récemment été traitée à fond par M. le capitaine Tauxier dans un remarqua ble mémoire lu devant l'Académie des Inscriptions, et que, d'après les conclusions du savant officier, prétendu périple d'Hannon est une compilation géographique d'un faussaire grec du premier siècle avant notre ère (Comptes-rendus des séances de l'année 1874, 4° série, t. II, p. 325-328). 2. Un peu plus loin (p. 94), M. L. oppose à cette belle, mais regrettable phrase de Montesquieu : « Il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme l'on cache les statues des Dieux, » la chaleureuse protestation que voici : « Non, il n'est pas vrai que jamais la proscription soit légitime. Dans les situations les plus difficiles, on peut se défendre par de justes lois et des jugements réguliers. Au fond, on ne voile pas la liberté, on la viole, et, en la violant, on la tue, » 3. Lettre à l'abbé de Guasco, t. VII, p. 284. Montesquieu ajoute plaisamment: « L'abbé, vous êtes bien simple de vous figurer que des gens de chapitre se donnent la peine de faire des recherches littéraires. » Dans le tome VI ont été réunis, autour de la Défense de l'Esprit des Lois tant admirée par d'Alembert, et où le nouvel éditeur loue « l'atticisme le plus pur, » divers morceaux peu répandus dont M. L. parle ainsi (p. 98): « En proclamant la victoire de Montesquieu, les éditeurs ne nous ont point fait connaître les pièces du procès. Nous avons la réponse de l'auteur; nous ne savons pas toujours à quoi il répond. Ne serait-il pas équitable de publier l'attaque en même temps que la défense, et de permettre au lecteur de juger comme on l'a fait au dernier siècle. après avoir entendu les parties? » Les pièces reproduites sont : un extrait du Journal de Trévoux d'avril 1749 (p. 101-113) ’, un extrait des Nouvelles ecclésiastiques du 9 octobre 1749 (p. 115-137), une réponse à la Défense de l'Esprit des Lois, tirée des Nouvelles ecclésiastiques du 24 avril et du jer mai 1750 (p. 209-237), le Remerciement sincère à un homme charitable [le gazetier ecclésiastique), petite pièce de Voltaire (p. 239-243), la Suite de la défense de l'Esprit des Lois par La Beaumelle (p. 247-312), une Lettre d'Helvétius à Montesquieu sur son manuscrit de l'Esprit des Lois (p. 313-318), une Lettre du même à Saurin au sujet du même manuscrit (p. 319-322), un article de M. Vian intitulé : Montesquieu et la censure, où l'on voit que les cartons de l'Esprit des Lois n'ont que peu d'importance (p. 323-338), enfin une Note sur l'ouvrage inédit de Montesquieu intitulé : Sur les finances de l’Espagne, note extraite d'un discours prononcé, le 2 décembre 1847, par M. Gustave Brunet, président de l'Académie de Bordeaux (p. 331333). Le volume est complété par une Table analytique et alphabétique des matières contenues dans l'Esprit des Lois et dans la Défense (p. 335-505). Le tome VII et dernier renferme les auvres diverses de Montesquieu : Discours académiques (p. 1-65), Traité des devoirs (p. 66-69), Réflexions sur la considération et sur la réputation (p. 70-75) ?; de nou 1. « On suppose, » dit M. L. (p. 99), « que le {père Plesse en est l'auteur. » C'est fort incertain. L'n bibliographe d'un rare mérite, le P. C. Sommervogel (Table méthodique des Mémoires de Trévoux, 1864), s'exprime ainsi sur ce point : « Cette lettre est peut-être du P. Berthier lui-même, ou de son confrère le P. Plesse qui, dit-on, aidèrent l'un et l'autre Claude Dupin dans ses Observations sur ce célèbre ouvrage de Montesquieu. » 2. Ou plutôt extraits du Traité des devoirs et des Réflexions. Ces extraits, publiés en 1726 dans la Bibliothèque françoise d'Amsterdam, et sur lesquels un habile critique, feu M. E. Despois, a le premier appelé l'attention (Revue politique et littéraire du 14 novembre 1874), nous ont conservé, selon la remarque de M. L. (Préface, p. 1), « tout ce qui nous reste de deux opuscules de Montesquieu. Ces fragments font désirer qu'on publie le texte entier, s'il se trouve, comme on le croit, parmi les papiers de l'auteur. » M. L. se plaint avec une extrême vivacité (p. 11) de la lenteur que mettent les héritiers de Montesquieu à publier les manuscrits du château de la Brède. Je crois pouvoir lui donner l'assurance que désormais nous n'attendrons pas beaucoup cette publication, qui a été retardée par des circonstances entièrement indépendantes de la volonté de MM. de Montesquieu. Tout récemment, les descendants de cet illustre écrivain ont pris, devant M. le Secrétaire perpétuel de l'Académie veaux Discours académiques, parmi lesquels on distingue l'Eloge du duc de La Force et le Discours de réception à l'Académie française (p. 76-88 et 91-95); Essai sur le goût (p. 113-147); Pensées diverses (p. 149-181)); Notes sur l'Angleterre (p. 183-196); Poésies (p. 197204); Lettres familières (p. 205-456); enfin Voyage à Paphos (p. 457488). Le Voyage à Paphos est peu connu et mérite peu de l'être. On voudrait se persuader qu'il n'est pas de Montesquieu. M. L. a trop de goût pour ne pas déclarer (Préface, p. 1) qu'il n'a aucune illusion sur la valeur de ce jeu d'esprit, qui a paru pour la première fois dans le Mercure de France de décembre 1727 et qui n'avait pas encore été introduit dans les (Euvres complètes du baron de la Brède. M. L. estime beaucoup, au contraire, les Pensées diverses, disant (p. 11) : « Je connais peu de recueils de ce genre qui contiennent autant d'idées neuves finement exprimées. On ne leur rend pas assez justice. L'éclat des Lettres persanes, de la Grandeur des Romains, de l'Esprit des Lois a jeté dans l'om bre ces ébauches... » Mais la partie la plus précieuse du volume que j'examine est, sans contredit, celle qu'occupe la correspondance de Montesquieu. M. L. apprécie trop bien cette correspondance pour que je ne reproduise pas avec empressement son appréciation (Préface, p. 1): « On trouvera dans les Lettres familières un certain nombre de lettres qui n'ont jamais été imprimées, et un nombre plus grand de lettres publiées dans ces dernières années, mais restées à peu près inconnues, parce qu'elles sont dispersées dans des recueils où rien n'indique leur présence. Cet ensemble de lettres permettra, je l'espère, de placer Montesquieu à un meilleur rang parmi les épistolaires français. Sans doute, cette correspondance est écrite au courant de la plume et sans prétention. L'auteur n'y a jamais songé à la postérité, mais la langue en est si bonne, le style si facile et si vif, la pensée si claire, qu'en vérité, sur ce terrain, Montesquieu ne craint la comparaison avec aucun de ses contemporains. » Une des meilleures de toutes les éditions qui ont précédé celle de M. L., l'édition soignée par M. J. Ravenel (Paris, de Bure, 1834), ne contient que quatre-vingt-seize lettres. M. L. nous en donne cent cinquante. huit. En retranchant de ce nombre une lettre de la duchesse d'Aiguillon à l'abbé de Guasco (n° CLVII) et une lettre de Mme Dupré de Saint-Maur à Suard (n° CLVIII), sur les derniers moments de leur illustre ami, c'est un total de soixante lettres que nous gagnons. Parmi ces soixante nouvelles lettres, il n'en est aucune qui ne soit très agréable à lire. Le style en est simple, facile; « la bonne humeur et la gaieté gasconnes, » comme parle M. L. (p. 207), y pétillent sans cesse, et l'heureux caractère de Montesquieu s'y montre autant que son charmant esprit. française, le solennel engagement de livrer le plus tôt possible au public les trésors qui leur ont été donnés en garde. Si M. L. avait connu cette démarche toute spontanée, il n'aurait certainement pas réclamé l'ouverture de la succession avec autant d'impatience et en des termes qui sont aussi flatteurs pour Montesquieu, qu'ils le sont peu pour ses descendants, lesquels, je le sais, entourent du culte le plus fervent la mémoire de leur grand ancêtre. 1. On y a ajouté (p. 89-90) un Discours prononcé au parlement de Bordeaux pour l'installation du premier président, discours qui n'appartient pas à Montesquieu, mais à son oncle, et qui est, du reste, fort insignifiant. Ce qui vaut mieux, c'est l’Ebauche de l'éloge historique du maréchal de Berwick (p. 96-112). 2. Parmi ces poésies, on trouve (p. 202) le quatrain qui n'est que la copie mal faite d'un madrigal que j'ai cité ici (Compte-rendu de l'Histoire de Montesquieu, par M. L. Vian, no du 27 avril 1878, p. 280). Je demande à M. L. la permission de ne pas croire que Montesquieu doive être rendu responsable de ce maladroit pla1. M. Vian a été vertement repris, à cet égard et à quelques autres égards, par un des critiques de la Revue des Deux-Mondes, M. F. Brunetière (Revue littéraire de la livraison du 1er mai 1879). M. L. a conservé toutes les notes du premier éditeur des Lettres familières (1767), l'abbé de Guasco, un des meilleurs amis du baron de la Brède. Il a reproduit aussi quelques-unes des notes ajoutées par M. Ravenel en 1834. Enfin il a lui-même complété sur un assez grand nombre de points le travail de ses devanciers. Son très sobre commentaire est des plus recommandables. Les rares inexactitudes que l'on pourrait y relever, proviennent le plus souvent de fautes d'impression, comme dans la note i de la page 220 où un chiffre mis pour un autre fait mourir l'abbé d'Olivet à l'âge de 26 ans (1682-1708). Il fallait imprimer 1768. Je me demande pourquoi M. L. (p. 240) met vers 1688 la naissance à Paris de Fr. Augustin Paradis de Moncrif que tous les biographes foat naître en 1687. Je ne résiste pas à la tentation de citer la piquante petite notite du commentateur sur ce personnage : « C'était un de ces hommes du monde comme il y en a dans tous les siècles, qui se disent littérateurs, et qui ont le talent de se faire accepter comme tels par les académiciens de leur temps. Il avait eu l'idée singulière d'accoler un roman de sa façon, les Ames rivales, au Temple de Gnide ». La note de l'abbé de Guasco sur Mme de Pontac (p. 273) aurait pu être complétée par les indications que voici : c'était Elisabeth Marie de Perreau, femme du comte JeanFrançois de Pontac, colonel d'infanterie, premier jurat de Bordeaux, morte en juillet 1773.- M. L. n'a pas fait remarquer (p. 429) que Mon. tesquieu, en s'écriant à propos de la Brède : O rus, quando te aspiciam, escamotait, comme on le fait si souvent, le mot ego placé par le poète entre quando et te. Plutôt que d'insister sur des points aussi menus, louons M. Laboulaye de s'être montré plus prudent que M. L. Vian, et de n'avoir pas voulu mettre une adresse à trois billets galants (p. 217219) où l'auteur de l'Histoire de Montesquieu n'a pas hésité à inscrire le nom de Mlle de Clermont 1. Surtout louons-le d'une manière générale d'avoir publié avec tant d'habiles soins les ouvres complètes d'un de nos plus grands écrivains, et déclarons que, par ce travail de six années qui lui inspire de touchantes paroles, il a vraiment à la fois bien mérité du public et de Montesquieu. T. DE L. ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES Séance du 18 juillet 1879. M. le secrétaire perpétuel donne lecture d'un décret du président de la République par lequel est approuvée l'élection de M. Baudry en qualité de membre libre en remplacement de M. de Lasteyrie. M. Baudry est introduit et prend place, M. le secrétaire perpétuel donne lecture de son rapport semestriel sur les travaux de l'Académie. M. Léon Renier fait une communication sur une inscription latine trouvée récemmcnt à Grenoble. C'est une dédicace en l'honneur de l'empereur Claude, connu sous le nom de Claude le Gothique. Elle est ainsi conçue : IMP · CAESAR... AVG · GERMANICO TATIS:II.COS.PATRI.PA TIQ: EIVS « Imperatori Caesari M. Aurelio Claudio, pio, felici, inuicto, Augusto, Germanico, Maximo, pontifici maximo, tribuniciae potestatis secundum, consuli, patri patriae, proconsuli, uexillationes adque equites itemque praepositi et ducenari protectores, tendentes in Narbonensi prouincia sub cura luli Placidiani, uiri perfectissimi, praefecti uigilum, deuoti numini maiestatique cius. » Claude fut proclamé empereur en 268, après la mort de Gallien; sa « seconde puissance tribunitienne » se compte du 1er janvier 269. L'inscription est donc au plus tôt de l'année 269. Elle n'est probablement pas postérieure à cette année; en effet, les titres de Germanicus Maximus, qu'elle donne à Claude et qui ne lui sont donnés dans aucune autre inscription connue jusqu'à ce jour, paraissent faire allusion à la victoire remportée par Claude sur les Alamans au Benacus ou lac de Garde en 268, et l'on peut croire que le monument qui nous a conservé l'inscription de Grenoble a été dédié à l'empereur en l'honneur de cette victoire. Cette inscription donne lieu à diverses observations historiques. On avait cru que Claude avait éié consul avant d'arriver à l'empire : l'inscription de Grenoble indique le contraire, puisqu'elle donne à Claude empereur le titre de consul, sans ajouter : pour la seconde fois. Elle montre que l'autorité de l'empereur reconnu en Italie, était aussi reconnue dans la Narbonnaise, tandis qu'à cette époque, le reste de la Gaule obéissait à un empereur particulier, Tétricus, l'un de ceux qu'on 15 1. T. VII, Préface datée de mars 1879, p. 111 : « Ce n'est pas sans regret que je vois finir un travail qui m'a occupé six années. Durant ce temps, il me semble que j'ai vécu dans la familiarité du président, dans l'intimité de ce grand esprit. Il m'a fait souvent oublier les petitesses de l'heure présente, en m'attachant par la largeur de ses vues, par la sérénité de ses idées. Puissè-je lui témoigner ma reconnaissance en lui conquérant de nouveaux lecteurs, c'est-à-dire des admirateurs et des amis ! » |