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directe du nombre des conditions à satisfaire, parce qu'alors chacun des éléments de la solution se contrôle mutuellement : plus elle a d'entraves, plus la science est précise et puissante: la tendance de l'école de M. G. est, au contraire, de lui donner la liberté absolue: c'est lui rendre un méchant service, car c'est lui enlever tout moyen de se contrôler ellemême, et de prouver sa légitimité. Si M. G. veut arriver, non à prouver une thèse, mais à trouver la réalité des faits, il doit faire entrer en ligne de compte des éléments qu'il néglige, en partie intentionnellement : il doit accepter le texte traditionnel comme étant, jusqu'à preuve du contraire, la reproduction fidèle des éléments primitifs; or la question étudiée historiquement donne tout lieu de croire qu'en général il en est ainsi ; il doit s'interdire toute modification du texte contraire aux habitudes de la langue, ce qu'il n'a pas toujours fait; il se peut qu'alors le résultat soit tout différent de celui qu'il veut établir, et qu'au lieu de morceaux de poésie, on ait seulement de la prose poétique : les résultats obtenus seront moins brillants, mais on s'en consolera aisément, si par hasard l'on arrive ainsi plus près de la vérité.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, que la métrique, ou, pour parler plus exactement, que l'étude des tendances rythmiques ne puisse donner çà et là d'utiles renseignements pour la critique du texte. En réalité, ces renseignements seront surtout des confirmations, et leur certitude sera d'autant plus grande que l'on sera arrivé d'autre part, et par d'autres indices, à des conclusions concordantes. Si l'on passe en revue les corrections de texte proposées par M. G., on verra que toutes celles qui s'imposent avec un caractère de vraisemblance ou d'évidence, sont déjà suggérées d'elles-mêmes, soit par la grammaire, soit par les variantes des manuscrits ou des passages parallèles. Au contraire, aucune de celles où M. G. n'invoque que la métrique, n'offre ce caractère d'évidence.

Pour nous résumer, nous croyons que le point de départ de M. G., à savoir qu'il y a dans le nouvel Avesta un système de mètre défini, qui peut servir par suite à rétablir le texte primitif, et à distinguer dans la rédaction l'œuvre de mains différentes, nous croyons que ce point de départ manque de certitude, et nous posons cette question préliminaire : n'est-il pas possible que les morceaux dits métriques ne soient qu'une prose poétique, assez analogue à la prose de Saadi en Perse, d'Ossian en Angleterre ?

Cette réserve de principe une fois posée, nous n'avons plus que des éloges à donner aux rares qualités déployées par M. G. dans ce travail. Nous ne nous contenterons pas d'admirer sa rare habileté à manier les lois qu'il établit, puisque nous croyons que cette habileté repose sur un principe incertain certainement personne en Europe ni à Bombay ne tourne le vers zend comme M. G. et l'on peut craindre qu'il ne soit plus habile versificateur que les premiers auteurs de l'Avesta. Mais dans ces mille observations répandues dans son travail, il y a beaucoup de choses à prendre, et il y a plaisir à suivre un esprit vigoureux, précis dans son

genre, toujours ingénieux, et qui mériterait d'avoir raison. Beaucoup de ses explications nouvelles sont bien séduisantes : il en est quelques-unes que nous n'osons trop louer, ayant eu le plaisir de nous rencontrer d'avance avec l'auteur (a fratat-kushîs; qîti, 1875); mais il y en a beaucoup d'autres où nous sommes plus à l'aise : signalons, entre autres, le mot havant qui disparaît définitivement du lexique zend pour se rejoin. dre en suffixe au substantif barezish (sscrit. barhishvant). Parfois les étymologies de l'auteur sont si ingénieuses qu'on est peiné d'être forcé de les repousser ou du moins de les ajourner: le qaêtvadathô, le mariage entre parents, devient par la simple application d'une loi d'écriture, qâetu-vadatha, c'est-à-dire que le mot signifierait étymologiquement la chose qu'il désigne en fait mais, si tentante que soit l'étymologie pour un sanscritiste, comme vad existe en zend, et que par suite, s'il était là, la tradition qui connaissait le sens du mot entier n'avait aucune raison de le méconnaître, la forme pehlvie du mot qaêtûk-dath, parsi khvetodath nous prouvera que le mot doit se diviser comme le divisent les manuscrits, en qaêtva-datha, ce qui rend très douteuse l'étymologie de M. G., qui a d'ailleurs l'inconvénient d'être trop logique et trop conforme au sens : les mots sont rarement des définitions 1.

Nous ne nous sommes si longuement étendu sur un livre, dont nous ne pouvons pour l'instant accepter les conclusions, que parce que nous avons cru y reconnaître des qualités scientifiques du premier ordre. Pour que M. Geldner produise une œuvre qui ne fasse pas seulement honneur à son talent, mais fasse avancer la science d'une façon sûre, il n'a qu'à se dé

1. Encore quelques menus reproches: M. G. est si pénétré de l'esprit védique qu'il fait l'Avesta plus védique que les Védas mêmes. Gaos drafsha « bannière de cuir » devient «< goutte de lait » parce que dans le Véda gaus « vache », peut signifier lait et que drapsa signifie « goutte ». Mais ce n'est le cas en zend pour l'un ni pour l'autre; je doute d'ailleurs que la langue védique eût jamais dit gos drapsa pour une goutte de lait; ce n'est pas dans des cas de ce genre qu'elle emploie gaus au sens de lait; elle eût pris le terme propre. Pour le besoin du vers, M. G. lit gaos darefsho en invoquant l'édition de Bombay : il oublie que cette édition est écrite en caractère gujarathi, et que dans cette écriture, on écrit dra aussi bien, et peut-être même plus volontiers, dara que dra. De là des variantes apparentes qui n'en sont pas. Un Parsi, écrivant à un des rédacteurs de la Revue critique dont le nom commence par Br et se représentant sans doute le mot écrit en gujarathi, le gratifiait régulièrement d'un a intercalaire : B(a)r. L'on ne pourrait tirer de conséquence de cette transcription que pour le système d'écriture du gujarathi, et non pour la prononciation réelle du nom en question.

La phonétique de M. G. est aussi parfois trop hardie, du moins pour les habitudes timides de ce côté-ci du Rhin. Il m'est absolument impossible de comprendre comment la racine vart, pehlvi vart-îtan, persan gard-îdan, devient urvic; urviç suppose un primitif vriç, mais de vriç à vart je ne vois pas comment l'on peut passer, et l'identité de sens «< tourner » ne suffit pas pour combler l'abîme, pour changer a en i, ten c et pour renverser l'ordre du mot, c'est-à-dire pour établir au moins deux lois phonétiques nouvelles sans exemple. Si urviç vriç a absolument besoin d'une étymologie, il le trouvera plutôt, comme le propose M. Spiegel, dans le grec Eλx-Xicow que dans le sanscrit vart.

barrasser d'une théorie préconçue et du joug d'un préjugé. Qu'il envisage les idées iraniennes dans toute l'étendue de leur développement et non pas seulement dans leurs origines: les recherches d'origine ne peuvent être fructueuses que combinées avec la connaissance exacte des faits présents, et venant après elle. En un mot, qu'il étudie la tradition, et avec la vue plus large et l'intuition plus sûre que donne le commerce des Védas, quand on sait s'en servir à l'heure et à la place voulue, il ne tardera pas à se mettre au premier rang dans l'école éclectique de l'avenir. JAMES DARMESTETER.

217.

Francesco Zambeccari und die Briefe des Libanios, von Richard FÖRSTER. Stuttgart, A. Heitz, 1878, in-8°, 332 p.- Prix : 10 mark (12 fr. 50).

On sait que la dernière édition des Lettres de Libanius, celle qui fut publiée à Amsterdam, en 1738, par J.-Chr. Wolf, renferme, à la suite du recueil des épîtres grecques, un recueil d'épîtres latines, distribuées en trois livres, et qui sont données comme des traductions faites, vers la fin du xve siècle, par l'humaniste Francesco Zambeccari de Bologne. Or, sur les cinq cent vingt-deux lettres qui composent ce dernier recueil, il n'en est guère plus de cent dont on possède le texte grec. Que faut-il penser des autres? Telle est la question à laquelle M. Richard Förster s'est proposé de répondre.

Pendant longtemps ces lettres n'ont été l'objet d'aucun soupçon; les historiens qui ont étudié Libanius et son temps, s'en étaient servis sans scrupule comme de documents historiques. En 1866 seulement, un critique français, M. Em. Monnier, eut, le premier, le sentiment très vif de leur inauthenticité. « Ce recueil, disait-il, sauf une centaine de lettres dont nous avons les originaux grecs, est dénué de toute autorité et complètement à rejeter. C'est un amas de pièces supposées, imitations, contrefaçons, exercices d'école, dont les données sont empruntées à la correspondance de Libanius, et le plus souvent grossièrement altérées 1. » En 1868, un érudit allemand, M. G. R. Sievers, auteur d'une Vie de Libanius, exprimait, à son tour, des doutes sur le plus grand nombre des lettres latines, mais d'une façon vague et sans rien préciser. La question était soulevée : il restait à la résoudre d'une façon scientifique. C'est à quoi s'est appliqué M. Förster. S'il n'a pas eu le mérite de la découverte, il a

1. Hist. de Libanius, 1re part. Examen critique de ses Mémoires, Appendice, note B, p. 164. M. Petit, dans une thèse, publiée également en 1866, sur la Vie et la Correspondance du sophiste Libanius, n'a même pas soupçonné la question (voir pag. 6, note 2).

2. L'auteur s'est aperçu de la priorité de M. Monnier, alors seulement que l'impression de son livre était déjà avancée. On trouvera la note qui constate cette priorité, tout à la fin du volume, avant les appendices, p. 284. Pourquoi M. F. a-t-il

voulu avoir celui de la démonstration. Il a essayé de faire la preuve aussi large, aussi complète que possible de ce qui, avant lui, avait été simplement pressenti ou affirmé. Non-seulement il soutient que les quatre cent dix-neuf lettres latines dont on n'a pas le texte grec, sont des contrefaçons, il sait encore l'époque à peu près exacte de cette fabrication épis tolaire il connaît le nom du faussaire, qui n'est autre que le prétendu traducteur, Zambeccari. Avec une ardeur passionnée, il a couru aux informations sur son compte, suivant partout ses traces et sa piste en Italie, fouillant, pour le bien connaître, les bibliothèques, les archives municipales, les papiers de famille1. Zambeccari, bien qu'il ait été professeur de grec, poète lauréat, et merveilleux improvisateur de vers latins, reste un personnage assez peu intéressant. Et comme M. F., en dépit de ses recherches, n'a pu surprendre le flagrant délit de falsification, c'est évidemment à l'examen des lettres latines, étudiées en elles-mêmes et comparées aux lettres grecques, qu'il lui faut surtout recourir pour prouver sa thèse.

Les arguments qu'il invoque sont nombreux, quelques-uns très-forts: leur réunion semble de nature à produire la conviction. Nous indiquerons seulement ici les principaux. - M. F. a étudié les noms des personnes auxquelles sont adressées les lettres suspectes ou qui y sont citées, et il a découvert, entre autres singularités, qu'un assez grand nombre de ces noms ne se retrouvent nulle part dans l'onomastique grecque, que plu sieurs même, forgés contrairement à toutes les analogies de la langue, sont de véritables barbarismes. De plus, ces personnages, dont il n'y a pas trace dans la correspondance grecque de Libanius ni dans ses autres ouvrages, sont représentés ici comme les amis les plus intimes du sophiste et comme les gens les plus célèbres de leur temps. Ce sont des poè tes de génie, des philosophes supérieurs, des hommes d'état de premier ordre, tout à fait inconnus d'autre part. Quant aux lettres latines où les correspondants de Libanius sont les mêmes que dans les lettres grecques, elles nous donnent, sur le caractère et sur la vie de ces correspondants, des renseignements qui s'accordent mal avec ceux que fournissent les lettres authentiques. Les rapprochements de textes faits par M. F. sont, sur ce point, tout à fait concluants. Un autre ordre de preuves est celui-ci. Les épîtres en question mentionnent certains faits de la vie de Libanius qui sont contredits par le περὶ τῆς ἑαυτοῦ τύχης. Or, il est dificile de suspecter la véracité du sophiste dans ses Mémoires, sauf quand sa vanité se trouve en jeu. Ces mêmes épîtres respectent peu la géogra phie et altèrent encore plus l'histoire. Pour ne citer qu'un exemple, les

jugé à propos d'atténuer la valeur de cette loyale déclaration par des critiques à l'adresse de M. Monnier, critiques qui sont peut-être justes mais qui ont l'inconvé nient de ne pas se trouver à leur place et de paraître inspirées par une sorte de mauvaise humeur?

1. Voir les pièces justificatives placées à la fin du volume : quelques-unes sont cu

rieuses.

rapports de Libanius avec Julien y sont représentés d'une façon qui n'est nullement conforme à la réalité, telle qu'elle résulte pour nous des témoi gnages les moins suspects. Enfin, considérées dans leur caractère général, quelle impression fâcheuse ne produisent-elles pas! On sent que la réalité en est absente, qu'on a affaire à des ombres, à des fantômes.

Ne voit-on pas d'ailleurs, comme le remarque justement M. F., que ces lettres sont tout à fait dans le goût et dans l'esprit de la première Renaissance? Qu'on les compare à celles des humanistes italiens du xv et du xvIe siècle. Pour le fond, ce sont les mêmes sujets, de nature banale: recommandations, félicitations, protestations d'amitié, débordement de flatteries ou déluge d'injures. Pour le style, même élégance fade, même recherche, mêmes enjolivements mythologiques. Cette mythologie du reste, n'est pas exacte. M. F. ne s'y est pas trompé 2 et il nous montre que certaines versions des mythes grecs, telles qu'on les trouve chez le pseudo-Libanius, ne sont pas de source hellénique, mais dérivent des poètes romains de basse époque ou des commentateurs virgiliens. Il note également que la confusion du Parnasse avec l'Hélicon, confusion que Libanius n'a pu faire pas plus qu'aucun Grec instruit, est une erreur qui date de la Renaissance italienne 3 et qui s'accrédita, dès le milieu du xv siècle, chez les lettrés comme chez les artistes 4. D'autres développements qui reviennent, à plusieurs reprises, dans ces lettres latines (la glorification de Socrate par exemple, un des thèmes favoris de Marsile Ficin et de Pic de la Mirandole), sont autant d'indices du temps où elles ont été composées. Faut-il s'étonner de pareilles falsifications? A aucune époque et en aucun pays, les textes antiques n'ont subi autant de mutilations et d'interpolations qu'au xv° siècle et en Italie jamais les traductions latines des auteurs grecs n'ont aussi peu ressemblé aux originaux. Dans le domaine des lettres comme dans celui de l'art, l'imitation de l'antiquité conduisait au pastiche, le pastiche à la contrefaçon. Zambeccari, en complétant, à sa manière, la correspondance de Libanius, se sera donc simplement conformé à une habitude des humanistes de son temps. Il espérait d'ailleurs sans doute y trouver son profit; M. F. suppose, non sans vraisemblance, qu'il voulait obtenir des illustres patrons auxquels ses recueils d'épîtres étaient dédiés, de Giovanni

1. Voir l'argumentation de M. F. p. 203-212. La chose a son importance. Car M. Beugnot, dans une étude sur Libanius et les Sophistes (Correspondant, t. VII, juillet 1844), a tiré, précisément d'une de ces lettres latines, des conclusions qui se trouvent ainsi sans fondement.

2. On doit à M. F. une bonne étude mythologique (Der Raub und die Rückkehr der Persephone, Stuttgart, 1874.) Cf. Rev. crit., 20 juin 1874.

3. Remarquons en passant que Boileau tombe dans la même erreur, quand, au début de son Art poétique, il fait de Pégase un coursier rétif aux mauvais poètes qui veulent gravir les pentes du Parnasse.

4. Mantegna, par exemple, représentait Apollon jouant de la lyre, les Muses dansant et chantant sur une montagne nommée Parnasse, bien qu'on y vît la source Hippocrène (de l'Hélicon) jaillissant sous le sabot de Pégase.

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