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d'après l'analogie des sujets qu'elles traitent. Le premier groupe, et le plus considérable, comprend les cinq études consacrées à X. Doudan, à Balzac, à la comtesse d'Agoult, à M. Buloz et à M. Thiers. Dans le second ne se trouvent que deux articles, l'un sur M. Renan, considéré comme philosophe, l'autre sur M. Taine, envisagé comme historien. Le troisième groupe nous transporte en Italie : les Médicis, princes souverains, un prince réformateur-il s'agit de Léopold Ier, - Gino Capponi. Quant au quatrième et dernier groupe, les trois grands écrivains de la Renaissance, Machiavel, Rabelais et le Tasse, puis Milton, sont l'objet des articles qu'il contient. Cette énumération montre assez quelle variété d'intérêt offre ce volume; ajoutons qu'il est écrit avec un rare talent par un homme qui a été tour à tour, et pendant de longues années, hôte des deux peuples dont il étudie ici l'histoire et la littérature.

L'étude sur Doudan a été composée à l'occasion de la publication des Mélanges et lettres de cet écrivain ingénieux, qu'une révélation posthume fit arriver à une célébrité aussi soudaine que justifiée. M. H.a très bien caractérisé ce qui fait le mérite de cette correspondance et son jugement dénote un fin connaisseur des délicatesses de notre langue. L'article consacré à M. Buloz ne témoigne pas d'une moindre connaissance des choses et des hommes de notre pays; c'est un ancien collaborateur de la Revue des Deux-Mondes qui parle ici, et le portrait qu'il trace du célèbre directeur de ce recueil ressemble trop à l'original pour n'avoir pas été pris sur le vif. La publication de la correspondance de Balzac a permis à M. H. de raconter cette vie singulière où la réalité et la poésie se mêlent si intimement sans pouvoir se concilier, vie d'un écrivain philosophe d'où la philosophie est bannie et dont les illusions incorrigibles et les aspirations contradictoires sont peut-être un roman plus attachant et plus dramatique que tous ceux de la Comédie humaine. On ne trouve pas, dans l'étude sur la comtesse d'Agoult, la sympathie que M. H. paraît avoir eue pour Balzac; est-ce parce que, évidemment hostile à George Sand, il ne pouvait que se montrer sévère pour un écrivain qu'il regarde, non sans raison, comme son sosie ou son émule? Je ne serais pas éloigné de le penser; mais, si je souscris entièrement au jugement que M. H. a porté sur le Goethe et Dante et sur la Défection des Pays-Bas, «< ces livres excellents, mais si parfaitement inutiles 1, » il me semble que sa rigueur a été excessive pour la personne même de leur auteur. Quoi qu'il en soit, M. H. a raison, je crois, de voir dans les Souvenirs de la comtesse d'Agoult « le plus durable de ses ouvrages, › et, comme il le fait remarquer, les renseignements qu'elle nous donne sur le monde de la Restauration offrent le plus vif intérêt; on regrette qu'elle n'ait pas poussé plus loin ses révélations et ne nous ait pas parlé davantage d'elle et des autres.

1. Il faut dire toutefois que M. H. est plus indulgent pour l'Histoire de la Révotion de février et qu'il en reconnaît le mérite relatif.

L'article le plus long de cette première série est celui que M. H. a consacré à M. Thiers, et je ne serais pas surpris que ce fût celui de tout son livre dont il fait le plus de cas; cet article n'en est pas moins celui qui prête le plus à la critique. Mais cette critique ne peut s'exercer sans toucher à la politique la plus actuelle, qui est bannie de cette revue. Ce n'est pas évidemment par un effet du hasard que M. H. a rapproché M. Renan et M. Taine; malgré tout ce qui les distingue, ces deux écrivains n'en sont pas moins aujourd'hui les représentants peutêtre les plus brillants de l'esprit français, les deux artisans de style les plus parfaits parmi les prosateurs contemporains; on comprend, dès lors, sans peine que l'auteur des Profils ait tenu à les étudier en même temps. Toutefois, ce n'est pas un portrait définitif ni complet qu'il nous donne des deux penseurs, et ici se révèle un vice fatalement inhérent au genre d'ouvrages dont je rends compte; quand M. H., dans sa préface, réclame le droit pour tout collaborateur d'un journal ou d'une revue de publier ses articles à part, il a sans doute raison; mais il faut convenir aussi que, faits au jour le jour, ces articles ont trop souvent le grave défaut de ne présenter qu'un côté des hommes ou des choses. C'est ici le cas pour M. Renan et pour M. Taine: M. H. ne les juge que d'après leurs derniers ouvrages, qui sont loin de représenter l'ensemble de leur activité littéraire.

M. H. marque d'abord, par quelques traits, la trace profonde que M. Renan a laissée dans l'histoire morale de notre pays pendant les vingt dernières années; il caractérise la manière de ce penseur éminent, qu'il regarde avec raison comme le plus original du second empire, comme l'initiateur et le maître de la génération arrivée à la vie littéraire depuis 1860, comme un des fondateurs de la critique historique en France. Il était difficile de juger plus sainement la nature mobile de M. Renan, ce style clair et transparent, cette langue poétique et musicale, à laquelle on ne peut reprocher que le manque de force et d'énergie; il l'était encore plus, je crois, de mieux esquisser les traits de la philosophie un peu nuageuse des Dialogues philosophiques1, de cet idéalisme panthéistique, où l'on retrouve à la fois quelque chose de Malebranche, de Kant et de Schopenhauer, mais d'un Schopenhauer optimiste. M. H., on le sent de reste, s'est plu à s'attarder dans le « parterre charmant de la variété des pensées » de l'ingénieux écrivain; mais, s'il en a compris toute l'originalité, il a bien vu aussi tout ce qu'elles ont parfois d'étrange et de creux, et il les traite alors comme on traite des rêves, surtout des rêves inoffensifs et généreux, avec un sourire de bienveillance et de doute. « Je ne puis, dit-il en parlant de cette aristocratie de lettrés à laquelle M. Renan voudrait réserver le gouvernement de la société, je ne puis me défendre de voir ici le bout de l'oreille du prêtre qui possède toute science »; rien de plus vrai; mais

1. C'est leur publication qui a suggéré à M. H. le sujet de son étude.

c'est le plus tolérant des prêtres et un poète qui parle; voilà pourquoi nous l'écoutons, et M. H. tout le premier, avec tant de plaisir.

Les Dialogues philosophiques avaient fourni à M. H. l'occasion d'étudier M. Renan comme philosophe, la publication de l'Ancien régime lui a suggéré l'idée d'étudier M. Taine comme historien. Ce n'est pas que le célèbre écrivain se montre ici comme tel pour la première fois ; l'Histoire de la littérature anglaise avait déjà mis en lumière, on le sait, ce côté de son talent; mais il faut le reconnaître aussi, c'est bien plus comme critique que comme historien qu'il se révélait dans cet ouvrage, et ce qui le caractérisait surtout, c'était l'application à l'étude de la littérature d'un grand peuple, du système dont il s'est fait l'apôtre, c'était la démonstration, poussée jusqu'au paradoxe, de l'influence de la race et du milieu sur les produits de l'intelligence. Que M. Taine se montre en cela disciple de Herder, je l'accorde jusqu'à un certain point, mais je ne puis admettre qu'il ait dû aux idées du penseur allemand autant que l'affirme M. Hillebrand. Cette théorie, je crois l'avoir démontré, c'est dans Fontenelle, l'abbé Dubos et Montesquieu que Herder lui-même en avait trouvé le germe, et, bien avant M. Taine, Philarète Chasles avait mis en avant et exagéré déjà l'influence de la race sur les œuvres de l'esprit. Ce qui appartient en propre à M. Taine, c'est la recherche de la « faculté maîtresse; » c'est elle que dans tous ses écrits il s'efforce de mettre en évidence; mais, si ce procédé constitue son originalité, il cause aussi ses défauts les plus grands; plus d'une fois il a faussé ses portraits et lui a fait donner, au lieu de photographies fidèles, des esquisses curieuses, il est vrai, mais de fantaisie, ceuvres d'un artiste incomparable auxquelles manquent la rigueur et la vérité scientifique. Ce défaut, qu'il était facile de signaler dès les débuts de M. Taine, n'a malheureusement fait que se développer depuis lors et se montre avec toutes ses conséquences dans son dernier livre; absorbé dans une analyse minutieuse, l'auteur s'est trop souvent perdu dans d'interminables énumérations, qui témoignent de sa patience et de sa puissance d'investigation, mais qui prouvent beaucoup moins qu'il ne le pense. Le critique allemand n'a pas moins raison de dire que Tocqueville, avec sa méthode plus simple et plus sûre, avait déjà trouvé et démontré ce que son successeur expose avec un si grand luxe de renseignements. Où M. Taine retrouve sa supériorité, c'est quand il cherche à résumer dans un tableau d'ensemble l'impression que lui ont laissée les nombreux documents qu'il a consultés; là il se montre vraiment historien, autant que sa nature d'artiste lui permet de l'être.

Nous entrons dans un monde tout différent en observant la troisième série des études de M. H., et nous quittons encore une fois le terrain

1. Voir aussi l'Histoire de la littérature allemande, de J. Hillebrand, 3o édition revue par K. Hillebrand, I, 336.

littéraire pour le domaine de la critique historique. L'étude consacrée aux Médicis << princes souverains », est écrite de ce style clair et net qui est propre à l'auteur; elle nous intéresse à ces grands ducs, qui, pendant deux siècles, régnèrent sur la Toscane et dont M. de Reumont a retracé l'histoire. Leur gouvernement a-t-il été aussi bienfaisant et heureux pour leur patrie que l'affirme M. Hillebrand? Cosme Ier, en particulier, a-t-il été ce prince magnanime qu'il nous montre? On peut trouver que M. H. a poussé ici l'indulgence trop loin. En revanche on ne peut que souscrire à l'éloge de Léopold Ier, « ce prince réformateur », ce disciple fidèle de Beccaria et des philosophes du xvIIe siècle, dont il met en pratique les doctrines humanitaires. L'article qui suit sur Gino Capponi, ce vieillard aveugle, qui survécut à tous les contemporains de sa jeunesse, ce témoin des guerres du premier Empire survivant au second, ce catholique libéral et patriote qui ne redoutait d'aller à Rome que dans la crainte si peu fondée de voir la royauté italienne absorbée et conquise par la papauté, a tout l'intérêt d'un portrait fait d'après des souvenirs personnels; il fait aimer l'historien de Florence et admirer ce caractère élevé qui avait quelque chose d'antique et de sévère.

Les études du quatrième groupe consacrées à quelques-uns des plus grands hommes du xvie et du XVIe siècle, nous conduisent tour à tour en Italie, en France et en Angleterre. On sait qu'après son travail sur Savonarole, M. Villari a commencé, il y a trois ans, une histoire de Machiavel dont la fin est impatiemment attendue; c'est en suivant ce guide si sûr que M. H. a essayé de reproduire quelques traits de la grande figure du célèbre Florentin.

C'est encore un fils et un représentant de la Renaissance que M. H. nous présente dans Rabelais. On sait que récemment l'auteur du Pantagruel a trouvé en même temps chez nous un historien et un panégyriste 1. Cette double publication a été l'occasion de cette étude. Il faut presque savoir gré à M. H. de l'avoir entreprise; le génie de Rabelais lui est évidemment antipathique; mais, si l'on sent qu'il lui a fallu faire effort pour s'en occuper, on doit reconnaître aussi qu'il a très bien vu et apprécié quelques-uns des côtés les plus curieux de la nature complexe et originale du curé de Meudon, ce « Faust qui a été moine », ce « Pic de la Mirandole plébéien », ce penseur humoristique, M. H. serait tenté de voir en lui le seul qu'ait eu la France.

La différence est grande quand on passe de Rabelais au Tasse, de l'auteur du Gargantua à celui de la Jérusalem délivrée. La défaite définitive de la France et le triomphe de l'Espagne de l'autre côté des Alpes avaient été le signal de la réaction politique et religieuse en Italie. Le temps du scepticisme et de la raillerie était passé; un Arioste et un Machiavel n'eussent plus été possibles; le Tasse fut le représentant du nouvel état

1. Rabelais et ses œuvres, par Jean Fleury. Paris, 1877, 2 vol. in-8. Rabelais, la Renaissance et la Réforme, par Emile Gebhart. Paris, 1877, in-8.

de choses mais il en fut aussi la victime; son orthodoxie, sa soumission au despotisme du jour, ne suffirent pas à lui donner la paix : il lui eût fallu se soumettre aux conventions sociales; il paya du repos de sa vie d'avoir voulu s'en affranchir. M. H. a très bien fait ressortir les contrastes de l'existence tragique du grand poète, nature belle et généreuse, mais caractère faible, intelligence puissante à laquelle il a manqué le sens pratique 1.

L'article suivant est le dernier du volume et le seul qui soit consacré à la littérature anglaise 2. La révolution de 1648 fait époque, non-seulement dans l'histoire politique, mais encore dans la vie morale de la Grande-Bretagne : elle marque l'avènement définitif du puritanisme dans la patrie de Shakspeare; c'en est fait désormais de la « merry England; » à la gaîté des contemporains d'Élisabeth succède la rigide austérité des compagnons de Cromwell; Milton a été témoin de cette transformation et il l'a subie; le disciple de la Renaissance est devenu le poète et l'un des représentants du puritanisme; il a ainsi personnifié dans sa carrière littéraire la révolution qui s'opéra alors dans la manière de penser de ses compatriotes. Faut-il considérer pour cela sa vie comme manquée et dire avec M. H. que « les horreurs de la guerre des Albigeois et de la Saint-Barthélemy sont moins affligeantes que le spectacle de ce suicide moral du grand poète ? » Il y aurait là une exagération manifeste; mais, sans aller si loin, on doit reconnaître que, si l'influence du fanatisme puritain n'a pas tué ce beau génie, sa force et sa puissance natives seules l'ont sauvé, sans pouvoir lui conserver toutefois sa grandeur et son originalité première.

On voit quel intérêt soutenu présente le livre de M. Hillebrand : l'auteur est un critique sagace, au courant de tous les grands problèmes littéraires, également versé dans la connaissance de l'histoire morale des quatre plus grands peuples de l'Europe moderne; écrivain élégant, autant que penseur ingénieux, il a composé, en réunissant ces articles si variés, une œuvre qui se recommande à l'attention du public lettré. Charles JORET.

CHRONIQUE

FRANCE. L'ouvrage du docteur E. BRETSCHNEIDER, Recherches archéologiques et historiques sur Pékin et ses environs, ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vient de paraître dans une traduction française, due à

1. Un ouvrage d'un jeune écrivain italien, M. Pierre Leopoldo Cecchi. Torquato Tasso e la vita italiana nel secolo xvi, a été l'occasion de cet article; M. H. est sévère pour cette étude; je crois qu'il ne l'aurait pas moins été pour celle qui l'a suivie Torquato Tasso, il pensiere e le belle lettere italiane nel secolo xvi. Firenze, 1877.

2. M. H. l'a écrit à la suite de la publication de la première partie de l'ouvrage aujourd'hui terminé de M. Stern: Milton und seine Zeit.

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