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Corse. M. B. y insiste beaucoup par la suite. Cette histoire en réalité est, bien plus que la jeunesse et le développement du caractère de Napoléon, l'objet du livre de M. B. et, sous ce rapport, son livre est excellent. Le chapitre consacré aux années d'étude (1785-1787) et au séjour à Valence (p. 95-112) était une partie essentielle du travail entrepris par M. B. Que ne donnerait-on pas pour assister à la formation des idées et du caractère de Napoléon, comme on assiste à celle des idées et du caractère de Goethe? C'est ici (p. 13-15) que Lanfrey est absolument insuffisant et par trop pressé. Le chapitre des lectures très-abondantes de Napoléon est au contraire bien traité par M. B., d'après Libri. Il a raison (p. 99) d'insister sur l'influence de Raynal. Cette influence balance au moins celle de Rousseau sur la première période de la Révolution et elle est encore trèssensible dans la seconde période (1795-1804). Mais, faute de détails précis et de pièces, M. B. se répand un peu trop sur les auteurs lus par Bonaparte. Il ne nous en dit rien de nouveau, et ce sont les impressions du lecteur qu'il importerait surtout de connaître, Il aurait eu un chapitre bien curieux et bien intéressant à écrire, si, au lieu de parler de Raynal et de son ouvrage, il avait, par des citations et des rapprochements, montré dans la correspondance et les autres écrits de Napoléon les traces de ces premières lectures. Le même travail pourrait être fait pour Turgot, pour Mably, pour Adam Smith, etc. M. B. a passé à côté de son sujet, et, le prenant de trop haut, il est devenu par moment banal dans un sujet qui pouvait être traité d'une manière si neuve et si originale. La partie qui touche aux relations extérieures, méritait une attention particulière. Où cet homme qui a bouleversé et voulu refaire l'Europe, avait-il pris ses idées sur l'Europe? M. B. a senti l'importance du problème, et je l'en loue bien volontiers. Mais, faute d'avoir fouillé les textes, il demeure (p. 102) bien hypothétique et bien vague. Il ne suffit pas de dire que Raynal était rempli de plaintes et de protestations contre la politique désastreuse de Louis XV, que Napoléon a dû en ressentir le contre-coup et en retirer certaines idées. Il aurait fallu le montrer. Il y avait d'ailleurs des publicistes autres que Raynal qui avaient traité ces questions et avec plus de compétence et plus d'autorité. Ils étaient aussi dans toutes les mains. Et, cette remarque ne s'applique pas seulement au séjour de Valence, mais à toute la première jeunesse de Bonaparte jusqu'au siège de Toulon, faute de documents directs, on pourrait peut-être, par une voie détournée, ressaisir ces origines et surprendre, au moment où ils percent, ces premiers rayons qui révélèrent à lui-même ce prodigieux génie. Je disais tout à l'heure que l'on aurait grand profit à rechercher dans les œuvres de Napoléon les traces des lectures que l'on connaît; on pourrait avec autant de fruit faire le travail contraire, et, partant des œuvres, revenir aux lectures primitives. L'étude serait longue, difficile, minutieuse, mais le sujet en vaut la peine. J'avoue que je m'attendais à quelque chose de pareil en voyant un jeune savant allemand aborder, avec un ouvrage de cette dimension, ce grand

sujet de la jeunesse de Bonaparte. M. B. s'est borné à ouvrir et à indiquer la voie, et il en est sorti aussitôt pour se répandre et se dissiper dans un de ces travaux de considérations que les Allemands ont si souvent, et souvent avec injustice, reprochés à notre école. Je souhaite qu'un jeune érudit français profite de l'exemple et de la leçon. L'ouvrage de M. Böhtlingk lui serait de grand profit; il est déjà très-profitable à tous ceux qui cherchent à approfondir le problème qu'il s'était proposé de résoudre.

Albert SOREL.

10.

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Alexandre Lenoir, son journal et le musée des monuments français, par M. Louis COURAJOD. T. I. Paris, Champion, 1878, in-8°, CLXXV210 p.

Prix :

7

francs.

Dans l'ouvrage dont nous avons à examiner le premier volume, M. Courajod tient infiniment plus que ne promet le titre choisi par lui. Il nous offre, d'un côté, le travail le plus approfondi qui ait encore vu le jour sur le << vandalisme révolutionnaire », pour employer un terme consacré; de l'autre, l'histoire de l'admirable musée créé par cet amateur de génie qui s'appelait Alexandre Lenoir. Cette histoire, disons le tout de suite, est celle d'une partie des collections du Louvre. On sait, en effet, que le département de la sculpture du moyen âge et de la Renaissance s'est principalement recruté dans le vaste dépôt établi par Lenoir au couvent des Petits-Augustins. Bon nombre de tableaux du Louvre ont la même origine. C'était pour M. C. un devoir tracé par la nature même de ses fonctions que de rechercher ainsi la filiation des œuvres d'art confiées à ses soins, et de fixer, en quelque sorte, l'état civil de chacune d'entre elles. Il s'est acquitté de cette tâche avec une érudition et une sagacité qu'on ne saurait trop reconnaître.

L'analyse et l'appréciation de cette partie du travail trouveront place dans le compte-rendu consacré au deuxième volume. C'est là, en effet, que paraîtra, sous forme de commentaire, l'histoire de chacun des objets mentionnés dans le Journal de Lenoir. Pour le moment, nous ne nous occuperons que de la partie relative à l'attitude de notre première Révolution vis-à-vis des oeuvres d'art. Cette étude forme l'introduction du tome I.

Les recherches, les discussions sur le « vandalisme révolutionnaire »>, remontent à un certain nombre d'années déjà. L'Histoire de l'art pendant la Révolution, qui paraissait en 1863, trois ans après la mort de son auteur, Jules Renouvier, contenait un exposé succinct, mais fort substantiel de la question. Renouvier, avec une impartialité digne d'éloges, constatait l'« immense et aveugle destruction des objets d'art, qui durent périr avec les abus et les corruptions dont ils paraissaient les complices; mais il proclamait en même temps les services rendus à l'orga

nisation des musées par le gouvernement issu de la Révolution. En 1867, le marquis de Laborde revint sur ce sujet dans ses Archives de la France pendant la Révolution (pp. 25-42). Dans cet ouvrage, le dernier qu'il ait publié, l'illustre érudit faisait preuve, à l'égard de la Révolution, d'une sévérité excessive. Lenoir même ne trouva pas entièrement grâce à ses yeux. (Voir la note i de la page 34.) La même année un bibliophile normand rééditait, sous les auspices de M. Egger, les remarquables rapports de Grégoire 1. Dans son Vandalisme révolutionnaire, publié en 1868, M. Despois releva le gant jeté à la Révolution par M. de Laborde. Aux yeux de beaucoup de personnes, le travail de cet écrivain distingué et libéral paraissait devoir mettre fin au débat.

En réalité, le problème était loin d'être résolu. M. C., qui vient de le reprendre, y a introduit une masse énorme de documents nouveaux. Par l'abondance des preuves, par la force de la dialectique, son travail forme, à bien des égards, le pendant de celui de M. Taine. L'auteur s'y montre sévère pour la Révolution, mais il l'est aussi pour le premier Empire et pour la Restauration. Tout lecteur impartial rendra hommage à l'ardent amour de la vérité, à la vive passion pour l'art qui animent son ouvrage.

Il y a dans le « vandalisme révolutionnaire » deux périodes bien distinctes. L'une est celle du vandalisme populaire, l'autre celle du vandalisme esthétique. Inutile d'insister sur le premier. On ne connaît que trop les excès commis sur tous les points du territoire, excès contre lesquels le gouvernement fut souvent impuissant à réagir, auxquels il dut même quelquefois s'associer. Ces odieuses représailles, ces vengeances exercées sur des objets inanimés sont malheureusement de tous les temps. Malgré les édits de plusieurs empereurs, malgré les remontrances de plusieurs Pères de l'Eglise, elles signalèrent le triomphe du christianisme. La Réformation aussi céda plus d'une fois à des entraînements de ce genre. Pendant la Révolution, la foule, en s'attaquant aux souvenirs politiques ou religieux du passé, ne faisait que suivre, à son insu peut-être, des errements si déplorables.

A ces mutilations sans nombre, qu'aucun savant impartial ne saurait contester (elles sont consignées, en grande partie, dans les rapports déjà cités de Grégoire), on opposait, depuis les travaux de Renouvier et de Despois, les mesures de conservation prises par les assemblées de la Révolution. On leur faisait notamment honneur de la création du Musée national et de l'institution de commissions destinées à veiller à la conservation des monuments.

C'est à la discussion de ces deux arguments qu'est consacrée, en grande

1. Rapports de Henri Grégoire, ancien évêque de Blois, sur la Bibliographie, la destruction des Patois et les excès du Vandalisme faits à la Convention du 22 germinal an II au 24 frimaire an III, réédités sous les auspices de M. Egger, de l'Institut, par un bibliophile normand. Caen, 1867. · Voir aussi l'introduction des Monuments de l'Histoire de France, de M. Hennin, t. I, pp. 156-166 (1856).

partie, l'introduction de M. C., et, il faut le reconnaître, sur ce double point sa démonstration est aussi complète que possible. M. C. montre d'abord que l'idée de créer un musée public remonte au règne de Louis XVI. Aucun doute n'est possible devant les preuves qu'il a accumulées (pp. XXIV-XXXII). La conclusion de cette partie de son travail mérite d'être reproduite : « Il est bien établi désormais », dit-il, « que tout était disposé pour ouvrir le Musée du Louvre quand éclata la Révolution. C'est la Direction des Bâtiments du Roi qui avait préparé la galerie que les commissaires nommés par Roland, à la fin de 1792, ouvrirent en octobre 1793. C'est Louis XVI qui avait fait encadrer les tableaux destinés à l'exposition publique et payé les frais de leurs bordures. La République les accrocha. Voilà sa part dans l'exécution de cette grande et libérale mesure. Elle n'a rien inventé en tout ceci, pas même le mot prétentieux de Museum. »

M. C. constate cependant que l'explosion de la Révolution pouvait singulièrement favoriser la réalisation de ce projet. S'il est sévère pour les excès de cette grande époque, M. C. ne dissimule pas non plus les abus de l'ancien régime. Il montre que l'administration des Bâtiments du Roi comptait de ces << personnalités séniles et caduques, rivées à certaines fonctions, à qui elles transmettent leurs rhumatismes, et qui ne manifestent plus leur existence que pour tout ajourner ou tout entraver. Il y régnait des habitudes de routine, et le plus scandaleux favoritisme s'y épanouissait. » L'expulsion des artistes, qui avaient envahi toutes les parties du Louvre, et la « mobilisation », par suite de la Révolution, d'une masse prodigieuse d'œuvres d'art auraient également pu être d'une grande utilité au musée naissant. Mais les artistes expulsés ne tardèrent pas à être remplacés par d'autres non moins tenaces. Quant aux trésors d'art si su bitement mis à la disposition du nouveau gouvernement, leur sort dépendait des lumières des commissions chargées de les examiner.

L'histoire de ces commissions compte parmi les chapitres les plus curieux, les plus vivants du livre de M. C. Il a dépouillé leurs procès-verbaux avec le soin le plus minutieux, et nous fait à la fois connaître leur organisation et leur composition, les aptitudes et les goûts de leurs principaux membres, les vicissitudes des œuvres d'art soumises à leur contrôle. La Commission des monuments (dissoute le 28 frimaire an II) et la Commission temporaire des arts rendirent des services véritables, l'auteur le proclame en plus d'un endroit. Mais il n'en fut pas de même de la Commission du Museum qui fonctionna depuis la fin de l'année 1792 jusqu'au 16 janvier 1794, ni du Conservatoire du Museum qui lui succéda. La Commission du Museum se composait de cinq peintres (A. Vincent, J. B. Regnault, P. Cossard, N. R. Jollain, P. Pascal) et d'un géomètre (Charles Bossut). M. C. l'appelle une « grotesque association d'incapables » ; c'était là aussi le jugement porté sur elle par les contemporains. Elle se couvrit de ridicule et fit courir les plus grands dangers aux rares objets qu'elle avait trouvés dignes d'entrer dans le

Muséum. David la fit remplacer par un Conservatoire de dix membres, presque exclusivement formé, lui aussi, d'artistes. Mais la cause de nos musées ne gagna guère à ce changement. Les chefs-d'oeuvre sacrifiés par le Conservatoire se comptent par centaines. Ils étaient proscrits tantôt comme rappelant des souvenirs féodaux, tantôt au nom du goût. L'étroitesse d'esprit, l'indifférence dont firent preuve les membres du Conservatoire, à l'exception de Wicar et de David Leroy, passèrent toutes les bornes. Sans le dévouement de Lenoir, c'est à peine s'il resterait encore quelques spécimens de notre admirable école de sculpture du xvi°

siècle.

Cependant est-il juste de faire supporter à la Révolution seule la responsabilité de ce vandalisme esthétique? Nous ne le pensons pas. Le point de vue auquel M. C. s'est placé pour juger l'oeuvre du Conservatoire, est à coup sûr éminemment scientifique. Il est impossible de ne pas ratifier le jugement qu'il porte sur son compte. Mais le xvie et le XVII° siècle n'avaient-ils pas enseigné aux hommes de la Révolution le mépris des œuvres d'art anciennes? Le nombre des monuments détruits pendant le règne de Louis XIV, pendant celui de Louis XV, au nom des principes du goût, est incalculable, et cette intolérance ne s'est malheureusement pas bornée à notre pays. En Italie notamment, la période qui a suivi la Renaissance a été désastreuse pour les ouvrages d'architecture, de sculpture, de peinture, d'orfèvrerie appartenant au moyen âge. L'antiquité même n'était pas toujours respectée. En plein xvIIe siècle, en 1662, Alexandre VII renversa l'arc de triomphe de Marc-Aurèle. Aut seuil méme du XIXe siècle, Pie VI fit détruire les fresques de Mantègne au palais du Belvédère. Un exemple plus récent encore et non moins odieux nous est fourni par M. C. lui-même (p. xXCII, note): pendant le premier Empire, Denon fit fondre des figures d'anges en argent, de Sarrazin et de Coustou, pour les convertir en une statue de la Paix et en statuettes de l'empereur et de l'impératrice.

La vérité est que les droits de la science en matière de conservation d'œuvres d'art et en matière de collections, n'ont été reconnus, jusque vers 1830, que par de rares esprits, parmi lesquels il faut compter l'homme auquel est consacré l'ouvrage dont nous rendons compte. Dans sa conclusion, M. Courajod établit parfaitement ce fait. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire, en terminant, la page qui résume son remarquable travail. « Ce fut », dit-il, « une étrange destinée que celle de Lenoir. Il n'eut véritablement d'indépendance administrative et le pouvoir de faire le bien qu'à l'insu du gouvernement et pendant la période lugubre où sa vie était en danger comme les monuments qu'il protégeait. L'Empire ne consentit à patronner cette œuvre qu'en la menaçant journellement de la faire servir ses desseins et les besoins de son ambition ou diverses exigences de mise en scène. La Restauration la supprima, et, d'un trait de plume, accomplit un acte de vandalisme presque aussi préjudiciable a l'histoire de notre art que l'avaient été les destructions de la

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