due à M. M. dont l'édition des Pensées) a paru en deux volumes, en 1877 et 1879. Le premier volume contient une introduction générale : le second un index (malheureusement incomplet et peu soigné), des notes critiques et des leçons inédites. M. M. n'a pas eu la prétention de nous donner un Pascal nouveau. C'est là un bonheur qui n'est échu qu'à V. Cousin; mais il nous donne un Pascal renouvelé, dans une édition vraiment originale, où le texte, collationné sur le ms. avec un soin minutieux, est au niveau des exigences de la critique moderne appliquée aux textes de l'antiquité. Dans les 200 pages de notes qui terminent le 2° vol., M. M. a publié, outre des corrections intéressantes, un assez grand nombre de phrases inédites déchiffrées sous les ratures du ms., et dont plusieurs sont d'une grande beauté ". Les emprunts faits par Pascal aux Livres Saints, à Montaigne et au Pugio Fidei de Raimond Martin, ont été indiqués d'une manière plus complète que dans les éditions précédentes. La comparaison perpétuelle du texte avec Montaigne a même fourni des corrections dans les passages d'une lecture douteuse. Sans doute, ce n'est pas encore là l'édition diplomatique que nous demandons, M. M. n'ayant publié que le plus petit nombre des ratures et n'ayant pas indiqué les surcharges. L'éditeur est cependant très-autorisé à dire que le texte de Pascal ne sort pas de ses mains tel qu'il l'a pris, et que son travail marque une nouvelle étape vers l'édition parfaite qu'attendent encore les Pensées. A l'appui de ce jugement, il suffirait de citer les longs passages publiés ici pour la première fois (t. II, p. 238; t. II, p. 281, etc.), ou d'heureuses corrections telles que barres au lieu de balles (1, 61) et surtout les Turcs pour les uns (II, 234), texte inintelligible donné par MM. Faugère et Havet. Les critiques de détail que nous adresserons à M. M. sont peu nombreuses et, en somme, d'importance secondaire. M. M. n'a publié qu'un choix de ratures : il aurait pu quelquefois les mieux choisir. L'indication des surcharges serait assurément l'une des plus instructives : dans le Roseau pensant (I, p. 70), il faudrait avertir que les mots du règlement et sur l'espace sont des additions. T. I, p. 55 (art. iv, p. 51, Havet), M. M. omet de signaler plusieurs variantes importantes, et qui encore le matin si troublé (ligne 3), pense remplacé par est occupé, limiers par chiens ; les mots avec tant d'ardeur depuis six heures sont une addition. Ce n'est qu'en insistant sur tous ces détails que l'on peut faire toucher du doigt les procédés du style de Pascal. - T. I, p. 149 (Havet, art. x, p. 148), les variantes ne sont pas données, par exemple après béatitude (l. 2), la phrase : Voyons, si vous preniez croix que Dieu est et que vous perdiez, que perdez... Il serait facile de signaler un assez grand nombre d'omissions de ce genre. - T. II, p. 246, le passage : 1. M. Havet a lui-même appelé l'attention sur ces enrichissements du nouvel éditeur dans la Revue politique du 24 mai 1879. Il en a donné une liste à peu près complète, à laquelle nous renvoyons le lecteur. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme est appelé à tort un commentaire du Cogito de Descartes. — T. II, p. 353, M. M. décrit inexactement l'original de la fameuse Profession de foi, qui a été publiée très soigneusement ailleurs '. - T. I, p. Lxx, il contredit ce qu'il a dit p. lxv, au sujet des difficultés de lecture du ms. Id., p. lxiv, M. M. attribue à V. Cousin, dont il parle d'ailleurs sur un ton de supériorité qui ne laisse pas de surprendre, des livres de philosophie transcendante : j'avoue ne pas savoir à quels ouvrages il fait allusion. Les fautes d'impression sont nombreuses dans l'Index. Quant à la ponctuation et à l'orthographe adoptées par M. M., je ne peux que les désapprouver. On peut se demander si l'orthographe de Pascal mérite à aucun titre d'être reproduite, et je trouve étrange d'aller chercher une ponctuation régulière dans des lambeaux écrits à la hâte où les lettres mêmes doivent être devinées. Pascal ne connaît guère que la virgule et le point, après lequel il se sert ordinairement de majuscules; mais il arrive souvent qu'il ne met aucune ponctuation, que ses points prennent la forme de virgules, etc. Er général, je crois que M. Havet a eu raison d'augmenter le nombre des points 3, et que M. M. a fait fausse route en multipliant les virgules, avec l'idée préconçue d'allonger les phrases de Pascal et de le rendre plus semblable à Montaigne. Il y a, entre Montaigne et Pascal, des différences profondes, littéraires et morales, dont M. M. ne s'est pas bien rendu compte. L'accentuation est indiquée de la manière la plus arbitraire. M. M. déclare ne la mettre a que là où l'absence de tout signe aurait pu devenir une gêne pour les yeux. » Ce n'est pas là un critérium bien scientifique, et autant vaudrait n'accentuer pas, ou accentuer comme tout le monde. Je passe à des critiques plus générales. M. M. a adopté un classement des fragments, conforme, à ce qu'il croit, au plan original de Pascal. Avant lui, M. Frantin et M. Faugère avaient essayé de rétablir ce plan : l'Entretien avec M. de Sacy, et quelques rares indications du ms. ont servi de fondement à ces trois restitutions où l'arbitraire et l'esprit de système tiennent une très grande place. A défaut d'un classement vraiment scientifique, il serait sage de se borner à ranger les fragments des Pensées sous certains chefs, comme l'ont fait les éditeurs de Porto Royal, sans tenter de reconstruire un monument qui n'a peut-être existé que passagèrement dans l'imagination de Pascal. Je ne serais pas éloigné de croire que le projet d'apologie, que nous connaissons d'ailleurs indirectement, n'est pas la clef de toutes les pensées, mais une pensée , 1. Rev. de l'Instr. publique, du 29 déc. 1877. 2. A supposer, ce qui n'est pas, que les difficultés de lecture permettent de l'établir d'une manière certaine. — Je ne vois pas l'avantage d'imprimer Cromvueil pour Cromwell (I, 115). Le mot orgueil (t. I, p. 90) se trouve écrit orgeuil dix lignes plus bas. Il ne faut donc pas louer la régularité de l'orthographe de Pascal. 3. Par exemple, dans la belle et certaine correction du Roseau pensant, adoptée par M. Molinier. comme les autres, pensée de génie qui a souvent agité l'âme de Pascal et dont l'Entretien avec M. de Sacy est le développement. Si M. M., dans son classement, s'est tenu assez près de M. Faugère, il croit par contre devoir s'écarter de ses devànciers au sujet du scepticisme de Pascal. Sa manière de voir est une réaction souvent excessive contre la tendance de V. Cousin, qui a trop modernisé Pascal et lui a prêté un scepticisme un peu romantique. Pascal n'est pas sceptique, dit M. M.; ou il ne l'est que par méthode : son but est de démontrer par l'absurde la vérité du christianisme, il est lui-même le plus fervent des chrétiens. Cette vue ne manque pas de justesse ; mais depuis l'essai de Paradol, que M. M. ne connaît point, rien n'est plus généralement admis, et l'on s'étonne de voir annoncer comme neuve une explication des Pensées qui a pénétré jusque dans les manuels. Du reste, toute la partie philosophique de la préface et du commentaire de M. M. témoigne qu'il s'est engagé dans ces questions sans une préparation suffisante. M. M., qui se dit rationaliste, se moque volontiers du jansenisme et de Pascal : M. Havet les combat, ce qui est fort différent, et ne prend jamais le ton sec et dégagé qui dépare trop souvent les réflexions de M. M. Quand on préfère Montaigne à Pascal, quand on parle de la passion à froid, de l'amour vague des héroïnes de Corneille (II, p. 253), on peut encore donner une bonne collation du texte de Pascal : mais on n'a pas tout ce qu'il faut pour le commenter. Venant après MM. Faugère et Havet, et tirant un très grand parti de leurs recherches, M. M. devait de la reconnaissance à l'un et à l'autre. Comme son édition est plutôt philologique que philosophique, c'est à M. Faugère surtout qu'il est redevable, et il a moins d'obligations envers M. Havet. Or, il se trouve précisément que M. M. est fort équitable envers M. Havet, tandis qu'il n'a pas assez d'expressions sévères, railleuses même parfois, pour M. Faugère, dont l'édition a tout au moins, sur celle de M. M., l'avantage de l'avoir précédée et de lui avoir montré la voie 1. Je dois noter une autre circonstance où M. M. s'est montré bien sévère envers un autre travailleur. Le premier vol. du Pascal de M. M. paru au mois de février 1877. Peu de temps après, le ms. des Pensées était étudié en partie par un élève d'une de nos écoles, qui ignorait complètement l'édition de M. M. Empêché par ses occupations de continuer sa collation, il en exposa les résultats et les conclusions dans un travail qui allait paraître, lorsqu'il eut communication du premier vol. de M.M. En conséquence, tout en publiant son étude dans la Revue de l'instruction publique ?, l'auteur annonçait que la récension nouvelle, dont il a 1. L'équité prescrivait à M. M. d'indiquer, parmi les lignes raturées qu'il publie, celles qui l'ont déjà été par M. Faugère. Il ne l'a point fait, mais il signale avec insistance les moindres erreurs de son devancier. (V. surtout t. II, p. 337.) 2. Sous les initiales E. P. (nos de déc. 1877 et janvier 1878). montrait la nécessité, avait reçu un commencement d'exécution. Outre une vingtaine de corrections et quelques phrases raturées encore inédites, l'étude signée E. P. contenait un plan et des spécimens en vue d'une édition définitive, c'est-à-dire diplomatique, et quelques indications sur la possibilité d'un classement chronologique des fragments, fondé sur la nature du papier, la couleur de l'encre et les caractères de l'écriture. Les Pensées étaient, pour 9. P., moins l'ébauche d'une cuvre systématique que le journal intime de la vie religieuse de Pascal : et il lui semblait qu'on ferait un meilleur usage des débris que Pascal nous a laissés, en les faisant servir à l'histoire de sa vie qu'en les disposant arbitrairement pour reconstituer l'æuvre qu'il n'a pas faite. Cette opinion, développée avec détail, méritait au moins un examen sérieux. M. M. reconnaît, il est vrai, que 2. P. a découvert un feuillet écrit sur les deux côtés, collé à plein par le premier relieur, et a pu rétablir ainsi le texte de deux fragments dont on ne possédait plus qu'une copie très-altérée. Mais il ne mentionne pas les autres corrections de E. P. ainsi que la publication, pour la première fois complète, de la Profession de foi qu'il a lui-même donnée inexactement. Ces réserves, qui ne s'adressent pas à l'érudition de M. M., ne nous empêchent pas de reconnaître la très haute valeur de son travail. Espérons que l'accueil fait à cette édition engagera l'auteur à nous donner une édition diplomatique de Pascal', édition qui reste encore à faire, tandis que nous avons des fac-simile du Mediceus de Virgile et du Laurentianus d'Eschyle, et que l'Allemagne vient de nous envoyer une édition photographiée du ms. Digby du Roland. Que de textes classiques, outre les Pensées et les Provinciales, où M. Molinier nous promet des surprises, réclament une récension nouvelle conforme aux exigences de la vraie critique! Toute la partie des sermons de Bossuet que M. Gandar n'a pas publiés est une mine encore presque inexplorée. Sur les lettres de Voltaire, le travail philologique n'est pas commencé. Notre époque ne doit pas dédaigner ces études, où elle a tout ce qu'il faut pour exceller. Voilà bien des siècles que l'on rencontre de grands savants, dont la tête est une bibliothèque; mais l'amour de l'exactitude, le besoin impérieux de la précision, sont des qualités particulières à notre temps. On peut dire que sa façon de savoir lui fait encore plus d'honneur que ce qu'il sait. Forme primitive et un peu grossière de la science, l'érudition est chose ancienne : c'est la critique qui est nouvelle, et qui donne son prix à notre érudition. Salomon REINACH. 1. Le væu de voir paraître une édition photographiée des Pensées a déjà été exprimé par M. G. Pâris, en 1866. lors de la 2me édition du Pascal-Havet. VARIÉTÉS Les ancêtres de Colbert. Les derniers historiens de Colbert ont cherché à savoir si véritablement ce grand homme était issu d'une illustre famille écossaise venue en France vers la fin du xiure siècle, ou s'il n'était pas tout simplement fils et petit-fils de marchands drapiers ; mais la question n'a pas encore été complètement vidée, car si les preuves de noblesse fournies par Colbert sont fort suspectes, en revanche les preuves contraires ont été soigneusement détruites par les intéressés, et il est difficile de reconstituer généalogie du Contrôleur-général. Peu nous importe au fond que Colbert ait été gentilhomme ou non, et notre siècle éprouverait plutôt une sorte de satisfaction à constater que, même sous l'ancien régime, un roturier de génie a pu s'élever si haut; mais la curiosité de l'historien se trouve piquée au vif par ces prétentions à la naissance ; il s'acharne, pour ainsi dire, à chercher cette vérité qu'on lui cache, et les plus minces détails prennent alors à ses yeux une certaine importance. Ainsi M. Pierre Clément lui-même, tout en déclarant qu'après de pareils services une discussion généalogique serait au moins futile, a consacré dix ou douze pages de sa belle Histoire de Colbert à faire connaître les ancêtres de son héros; cet exemple nous autorise à revenir sur ce sujet pour montrer ce qu'étaient les Colbert avant l'avènement de Jean-Baptiste aux titres et aux honneurs. M. P. Clément a fort bien établi que, vers la fin du xvio siècle et au commencement du xvire, quelques-uns des Colbert de Reims, ayant acquis dans le commerce une certaine fortune, achetèrent des charges publiques pour s'anoblir; en sorte qu'il y avait à Reims des Colbert magistrats ou fonctionnaires, mais aussi des Colbert négociants, et, parmi ces derniers, un marchand drapier dont la boutique avait pour enseigne : Au Long Vêtu !. Voici quelques preuves nouvelles à l'appui de cette assertion; je les emprunte à un manuscrit du xviiio siècle dont la valeur historique ne saurait être contestée : son auteur était à même de très bien connaître les choses, puisqu'il était de Reims comme la famille Colbert, et qu'il est demeuré cinquante ans dans sa ville natale. Le manuscrit dont il s'agit est une Biographie de Nicolas Colbert, évêque d'Auxerre, et frère puiné du contrôleur-général ; cette biographie 1. Pourquoi Molière a-t-il fait de son bourgeois gentilhomme le fils d'un marchand de draps ? Ne songeait-il pas à Colbert, que Louvois et les seigneurs de la cour battaient en brèche depuis quelques années? Ne cherchait-il pas à donner à sa pièce un intérêt d'actualité? Il est au moins étrange que Molière, à qui Colbert donna l'idée du Mamamouchi, dit M. P. Clément, n'ait pas réfléchi, que la malignité des courtisans pourrait bien faire un rapprochement entre le contrôleur-général et M. Jourdain. |