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montrait la nécessité, avait reçu un commencement d'exécution. Outre une vingtaine de corrections et quelques phrases raturées encore inédites, l'étude signée Σ. P. contenait un plan et des spécimens en vue d'une édition définitive, c'est-à-dire diplomatique, et quelques indications sur la possibilité d'un classement chronologique des fragments, fondé sur la nature du papier, la couleur de l'encre et les caractères de l'écriture. Les Pensées étaient, pour . P., moins l'ébauche d'une œuvre systématique que le journal intime de la vie religieuse de Pascal: et il lui semblait qu'on ferait un meilleur usage des débris que Pascal nous a laissés, en les faisant servir à l'histoire de sa vie qu'en les disposant arbitrairement pour reconstituer l'œuvre qu'il n'a pas faite. Cette opinion, développée avec détail, méritait au moins un examen sérieux. M. M. reconnaît, il est vrai, que Σ. P. a découvert un feuillet écrit sur les deux côtés, collé à plein par le premier relieur, et a pu rétablir ainsi le texte de deux fragments dont on ne possédait plus qu'une copie très-altérée. Mais il ne mentionne pas les autres corrections de 2. P. ainsi que la publication, pour la première fois complète, de la Profession de foi qu'il a lui-même donnée inexactement.

Ces réserves, qui ne s'adressent pas à l'érudition de M. M., ne nous empêchent pas de reconnaître la très haute valeur de son travail. Espérons que l'accueil fait à cette édition engagera l'auteur à nous donner une édition diplomatique de Pascal', édition qui reste encore à faire, tandis que nous avons des fac-simile du Mediceus de Virgile et du Laurentianus d'Eschyle, et que l'Allemagne vient de nous envoyer une édition photographiée du ms. Digby du Roland. Que de textes classiques, outre les Pensées et les Provinciales, où M. Molinier nous promet des surprises, réclament une récension nouvelle conforme aux exigences de la vraie critique! Toute la partie des sermons de Bossuet que M. Gandar n'a pas publiés est une mine encore presque inexplorée. Sur les lettres de Voltaire, le travail philologique n'est pas commencé. Notre époque ne doit pas dédaigner ces études, où elle a tout ce qu'il faut pour exceller. Voilà bien des siècles que l'on rencontre de grands savants, dont la tête est une bibliothèque; mais l'amour de l'exactitude, le besoin impérieux de la précision, sont des qualités particulières à notre temps. On peut dire que sa façon de savoir lui fait encore plus d'honneur que ce qu'il sait. Forme primitive et un peu grossière de la science, l'érudition est chose ancienne : c'est la critique qui est nouvelle, et qui donne son prix à notre érudition.

Salomon REINACH.

1. Le vœu de voir paraître une édition photographiée des Pensées a déjà été exprimé par M. G. Pâris, en 1866. lors de la 2e édition du Pascal-Havet.

VARIÉTÉS

Les ancêtres de Colbert.

Les derniers historiens de Colbert ont cherché à savoir si véritablement ce grand homme était issu d'une illustre famille écossaise venue en France vers la fin du XIe siècle, ou s'il n'était pas tout simplement fils et petit-fils de marchands drapiers; mais la question n'a pas encore été complètement vidée, car si les preuves de noblesse fournies par Colbert sont fort suspectes, en revanche les preuves contraires ont été soigneusement détruites par les intéressés, et il est difficile de reconstituer la généalogie du Contrôleur-général. Peu nous importe au fond que Colbert ait été gentilhomme ou non, et notre siècle éprouverait plutôt une sorte de satisfaction à constater que, même sous l'ancien régime, un roturier de génie a pu s'élever si haut; mais la curiosité de l'historien se trouve piquée au vif par ces prétentions à la naissance; il s'acharne, pour ainsi dire, à chercher cette vérité qu'on lui cache, et les plus minces détails prennent alors à ses yeux une certaine importance. Ainsi M. Pierre Clément lui-même, tout en déclarant qu'après de pareils services une discussion généalogique serait au moins futile, a consacré dix ou douze pages de sa belle Histoire de Colbert à faire connaître les ancêtres de son héros; cet exemple nous autorise à revenir sur ce sujet pour montrer ce qu'étaient les Colbert avant l'avènement de Jean-Baptiste aux titres et aux honneurs.

M. P. Clément a fort bien établi que, vers la fin du xvi° siècle et au commencement du xvire, quelques-uns des Colbert de Reims, ayant acquis dans le commerce une certaine fortune, achetèrent des charges publiques pour s'anoblir; en sorte qu'il y avait à Reims des Colbert magistrats ou fonctionnaires, mais aussi des Colbert négociants, et, parmi ces derniers, un marchand drapier dont la boutique avait pour enseigne : Au Long Vêtu . Voici quelques preuves nouvelles à l'appui de cette assertion; je les emprunte à un manuscrit du xvIII° siècle dont la valeur historique ne saurait être contestée : son auteur était à même de très bien connaître les choses, puisqu'il était de Reims comme la famille Colbert, et qu'il est demeuré cinquante ans dans sa ville natale.

Le manuscrit dont il s'agit est une Biographie de Nicolas Colbert, évêque d'Auxerre, et frère puîné du contrôleur-général; cette biographie

1. Pourquoi Molière a-t-il fait de son bourgeois gentilhomme le fils d'un marchand de draps? Ne songeait-il pas à Colbert, que Louvois et les seigneurs de la cour battaient en brèche depuis quelques années? Ne cherchait-il pas à donner à sa pièce un intérêt d'actualité? Il est au moins étrange que Molière, à qui Colbert donna l'idée du Mamamouchi, dit M. P. Clément, n'ait pas réfléchi, que la malignité des courtisans pourrait bien faire un rapprochement entre le contrôleur-général et M. Jourdain.

a été composée vers 1724 par un ancien chanoine de Reims, nommé Jean Gillot, que son opposition à la bulle Unigenitus avait fait reléguer à Auxerre après 1710, et l'on comprend que ce chanoine Gillot, ancien grand maître de l'Université de Reims, ancien supérieur du séminaire et homme de confiance de l'archevêque Le Tellier, ait pu connaître quelques particularités intéressantes sur la condition des Colbert 2. Cette biographie de l'évêque d'Auxerre, l'un des prélats qui se sont le plus illustrés au XVIIe siècle par leur éminente vertu, n'a sans doute pas été été imprimée; du moins c'est une pièce que n'ont point consultée les biographes de Colbert. Remise d'abord par Jean Gillot à un chanoine d'Auxerre qui était chargé par le chapitre de cette ville « de continuer le recueil imprimé des vies de leurs évêques fini à Jacques Amiot, fils d'un boucher de Melun 2, » la biographie de Nicolas Colbert fut ensuite envoyée par son auteur à Me de Téméricourt, ancienne élève de PortRoyal, et l'une des personnes qui ont le mieux connu l'histoire de cette maison. «Quand cet écrit me reviendra, disait Gillot à Mlle de Téméricourt dans une lettre que j'ai sous les yeux, je prendrai la liberté de vous l'envoyer, parce qu'il est plein de faits curieux et édifiants. » L'écrit fut envoyé, et il trouva place dans l'un des volumineux recueils de Téméricourt possédés vers 1840 par M. Amable Pâris et communiqués par lui à M. Victor Cousin. C'est dans la bibliothèque de feu M. Pâris qu'il m'a été possible de le consulter et de transcrire les deux pages qu'on va lire, les seules qui nous apprennent quelque chose de nouveau sur la généalogie de Jean-Baptiste Colbert.

Messire Nicolas Colbert, premièrement évêque de Luçon, ensuite d'Auxerre, naquit à Reims l'an 1628. M. son père n'était pas d'une famille si déchue qu'elle ne conservât une ancienne sépulture dans l'église des Cordeliers 3, et n'eût plusieurs alliances avec la noblesse du pays. Un Colbert avait possédé, il n'y avait pas fort longtemps, la charge de lieutenant-général au présidial; on en a la preuve dans les premiers registres de l'Université. Un autre avait été capitaine pour le roi de la tour et ville de Fimes. Un troisième était en cour aumônier du roi, chantre et chanoine de l'église métropolitaine; c'est ce qu'apprennent les registres des conclusions du Chapitre. L'un des oncles paternels de notre prélat a rempli les deux charges de président au même présidial; c'est le père de M. André Colbert, successeur de Nicolas dans le siège d'Auxerre. Un second a été maire des habitants; c'est M. Colbert de Torcy, père de celui qui a été intendant à Soissons, etc. La famille de Mme sa mère,

1. V. sur Gillot les Nouvelles Ecclésiastiques et le Petit Nécrologe du xvIIe siècle. Il mourut à Auxerre en 1739, âgé de 80 ans.

2. Lettre ms. de Gillot à Mlle de Téméricourt.

3. Choisy raconte dans ses Mémoires que Colbert fit enlever de nuit la pierre qui recouvrait ce tombeau, et qu'on la remplaça par une autre où se trouvaient relatés les hauts faits du seigneur écossais Kolbert.

4. Peut-être faut-il corriger et lire Turgis.

nommée Bachelier 1, a donné en divers temps sept maires à la ville par l'élection des habitants; Marlot, dans Metropoles remensis, en fournit la preuve, et elle a rempli par de bons sujets les premières charges dans plusieurs tribunaux. Notre prélat eut trois frères et quatre sœurs : l'un de MM. ses frères est J. B., marquis de Seignelay, fait contrôleur-général des finances, secrétaire d'Etat avec le département de la marine, sur le bon témoignage qu'en avait rendu le cardinal Mazarin, qui s'en était longtemps servi, et sur celui qu'en portait encore M. Le Tellier, mort chancelier de France. Aussi le feu roi, après avoir reconnu ses grands talents, le fit-il depuis ministre d'Etat.

« Le second est Charles, marquis de Croissy, d'abord intendant de la généralité de Paris, puis successivement ambassadeur extraordinaire en Angleterre, et l'un des plénipotentiaires au congrès de Nimègue, enfin ministre et secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères. C'est le père de M. l'évêque de Montpellier et de M. le marquis de Torcy, qui lui a succédé dans ces derniers emplois, à la satisfaction de Louis XIV et avec l'estime du public et la confiance des étrangers.

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<< Le dernier est M. le comte de Maulevrier-Colbert, lieutenant-général des armées du roi, honoré en 1689 par S. M. du cordon de chevalier de ses ordres, qui produisit uniquement par devant M. de Louvois, chancelier de l'ordre, le brevet de capitaine de la tour de Fimes, donné à quatre de ses ancêtres, pour toute preuve de sa noblesse, comme on l'a ouï dire à M. Le Tellier, archevêque de Reims 3.

« L'une des quatre sœurs de notre prélat fut mariée à M. Des Marais, et elle s'est vue mère d'un contrôleur-général des finances et ministre d'Etat et de deux évêques M. ... de Riez, depuis archevêque d'[Auch] et [M.] de Saint-Malo.

« Les trois autres ont été religieuses dans le couvent des Cordelières urbanistes de Reims, dont le roi en a tiré une en la nommant abbesse du Lys. Les deux autres qui y sont retirées ont été souvent élevées par leur communauté abbesses triennales.

« L'auteur de cet écrit s'est vu dans cette maison 5.

<< Nicolas Colbert fit ses premières études à Reims dans le collège des

1. Marie Bachelier, veuve de Jean Colbert, négociant de Reims, était non pas la mère, mais la tante et la marraine du contrôleur-général; sa mère se nommait Pussort. Mais peut-être l'auteur veut-il dire que Marie Bachelier était mère de l'intendant de Soissons.

2. M. Pierre Clément dit que Colbert était l'aîné de neuf enfants; le neuvième mourut en bas âge, suivant toute probabilité; il était né, dit M. Jal, cité par M. Clément, le 11 novembre 1638, et il se nommait Antoine Martin.

3. Frère de Louvois, mort en 1710. Jean Gillot était l'homme de confiance et l'ami de son archevêque, dit le petit Nécrologe.

4. Lisez Desmarets; on sait qu'au xvII° siècle les noms propres n'avaient, pour ainsi dire, pas d'orthographe.

5. Probablement à titre de confesseur ou de supérieur.

Jésuites; M. Callon, chanoine de Reims et premier supérieur du séminaire, l'a raconté à l'auteur. Mais M. son père s'étant établi à Paris avec toute sa famille marchand à la maison qui a pour enseigne le LongVêtu 2, son fils, jeune homme d'une heureuse physionomie, les poursuivit dans l'université de cette capitale du royaume, et y reçut le degré de docteur dans la faculté de théologie... >>

On voit par là ce qu'il faut penser des prétentions de Colbert à la noblesse. Le bon chanoine Gillot fait tous ses efforts pour démontrer que cette famille des Colbert n'était pas complètement « déchue » au commencement du xvire siècle; il serait heureux de pouvoir attester que son héros sort d'une illustre maison, et si la fameuse épitaphe des Cordeliers de Reims Cy git ly preux chevalier Richard Colbert, dit ly Escossois Ki f... 1300 » n'était pas au su, de tous les Rémois, une falsification manifeste, Gillot ne manquerait pas de s'en prévaloir, au lieu de dire tout simplement que la famille Colbert avait une ancienne sépulture dans l'église des Cordeliers. » Mais il est trop sincère pour déguiser la vérité, pour accepter avec la complaisance d'un Moréri une généalogie si notoirement fausse, et il se contente de prouver la noblesse de Nicolas Colbert en disant qu'il y avait parmi ses aïeux des lieutenants-généraux au présidial de Reims, et des capitaines de la tour et ville de Fismes. Jean-Baptiste Colbert appartenait donc par sa naissance, non-seulement à la catégorie des « petites gens » comme les Séguier, les Fouquet et les Le Tellier, mais même à la classe si méprisée en cour des marchands de camelot et des trafiquants. Appelé par sa position de contrôleur-général à donner des ordres aux plus nobles personnages du royaume, il éprouva le besoin de passer lui-même pour gentilhomme; il se fit faire une généalogie que les courtisans feignirent de croire véritable, et le ministre roturier, devenu le beau-père des plus grands seigneurs, put ainsi atteindre le double but qu'il se proposait : l'établissement de sa nombreuse famille et le bonheur de la France.

A. GAZIER.

1. C'est peut-être une preuve que Jean-Baptiste Colbert avait lui aussi fait ses études, comme l'a pensé M. Clément. Pourquoi l'aîné, qui sans doute ne manquait pas d'intelligence, aurait-il été moins bien traité que les cadets?

2. Cette phrase n'est pas claire; si l'auteur a voulu dire que le père de Colbert s'était établi à l'enseigne du Long-Vétu à Paris, c'est une erreur; mais une Simple virgule placée après le mot famille donnerait un sens tout différent : M. son père... [qui était] marchand... Le jeune Nicolas pouvait bien avoir douze ou treize ans lors de ce voyage, ce qui mettrait l'arrivée de Jean-Baptiste à Paris vers l'année 1630.

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