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l'accommodement de Retz avec Louis XIV, et l'on peut suivre ainsi la vie publique de l'ancien Frondeur depuis 1661 jusqu'à sa mort. Les deux volumes que M. Ch. a consacrés à l'affaire du chapeau allaient jusqu'en 1652 nous sautons brusquement par dessus la Fronde ecclésiastique, et M. Ch. annonce un quatrième volume qui nous ramènera non moins brusquement en 1648; mais patience! il en est de cet ouvrage comme des grands travaux de construction que dirige un habile architccte: on creuse de tous les côtés à la fois, et les pans de mur s'élèvent sans que l'on puisse comprendre comment ils se rejoindront; c'est au dernier moment que l'édifice apparaît dans sa majestueuse unité. Un jour viendra où l'on aura une biographie du cardinal de Retz en dix ou douze volumes formant un tout complet. Le volume qui doit nous occuper aujourd'hui se compose de quatre parties distinctes : l'accommodement de Retz en 1662, l'affaire de la garde corse, - la mission du cardinal contre l'infaillibilité, — les conclaves de Clément IX, de Clément X et d'Innocent XI (1667, 1669, 1676). Ces quatres parties ont une importance et une valeur très-différentes.

L'accommodement de Retz avec Louis XIV pouvait, ce semble, être traité avec un peu plus de développements. M. Ch. affecte de dire qu'avant lui la vie de Retz était « à peine connue » (p. 1), que sa lutte contre Mazarin était « à peine connue, à peine esquissée jusqu'à présent » (p. 7) et il enveloppe dans un même dédain tous ceux qui ont osé traiter ce sujet avant lui. On devait donc s'attendre soit à des rectifications, soit à des révélations importantes; M. Ch. ne contredit pas une seule assertion de ses devanciers; il montre comme eux, et même en reproduisant, faute de mieux, des documents fournis par eux, que le cardinal exilé obtint assez facilement, lorsqu'il eut sacrifié ses amis les jansenistes, d'échanger l'archevêché de Paris contre des bénéfices équivalents. Le récit de M. Ch. est généralement exact, c'est un bon résumé, mais il est trop sec, et sans doute on le trouvera moins vivant que le tableau des intrigues de 1652. M. Ch. n'aime pas son héros, comme l'a dit avec raison un critique distingué 2, il cherche toujours à le faire plus retors et plus menteur qu'il ne l'a été; et il suppose gratuitement que Louis XIV n'a jamais cessé de considérer le cardinal comme un ennemi dangereux capable de recommencer la Fronde. Louis XIV savait très-bien que Condé, la Rochefoucauld, Retz et tous les autres révoltés de 1648 s'estimaient trop heureux de le servir avec un entier dévouement, et la suite du récit de M. Ch. en est la meilleure preuve. A dater de 1662, le cardinal de Retz est un des plus fidèles sujets du roi de France, il est pleinement réconcilié avec le jeune monarque, et l'on n'hésite pas à lui confier les missions les plus délicates. On l'envoie même par quatre fois à Rome, dans le pays de ses anciennes intrigues, et ces campagnes diplomatiques

1. Cp. Revue Critique, 1878, no 28, art. 127, p. 23.

2. V. la République française du 3 septembre 1878, article signé T. C.

ne sont pas moins brillantes que les derniers faits d'armes de Condé. L'affaire de la garde corse est un véritable hors-d'œuvre dans l'ouvrage de M. Ch., et, s'il est un épisode de la vie de Retz sur lequel les biographes puissent glisser légèrement, c'est bien celui-là. Le rôle du cardinal se réduit à fort peu de chose, car il ne reçut alors aucune mission; il fut simplement prié, comme beaucoup d'autres, de donner son avis par écrit ; il envoya de Commercy un mémoire de sept pages sur les satisfactions à exiger de Rome, et il écrivit deux petites lettres latines, l'une au pape, l'autre au sacré-collège. Pour amener ce mémoire inédit et ces deux lettres qu'il a traduites sans même en donner le texte, M. Ch. raconte, en cent pages, l'affaire de la garde corse. Et l'on ne saurait dire que ce hors-d'œuvre ait une grande valeur au point de vue de notre histoire diplomatique, puisque M. Ch. s'est le plus souvent contenté de résumer Régnier Desmarais 1. La Gazette de France, qui prit à ce démêlé une part si active (no• du 23 septembre 1662 et sq.) n'est même pas citée, et les documents diplomatiques les plus importants, comme les lettres de Créquy à Louis XIV, la grande lettre du roi de France à Christine de Suède, et beaucoup d'autres encore, ont été complètement laissés de côté.

D'ailleurs M. Ch., pour les besoins de son récit, exagère les choses; Le Tellier demanda conseil à Retz, le fait est vrai; mais il n'est pas vrai que l'on ait suivi de préférence ses indications. J'ai sous les yeux une longue et curieuse lettre intime du duc de Créquy (4 novembre 1662) à la suite de laquelle sont transcrits deux projets de satisfaction, le premier en sept articles, l'autre en dix, et les propositions de Retz y tiennent une fort petite place. M. Ch. dit également (p. 152) que le sacré-collège, << en désespoir de cause et à la demande du pape, adressa une lettre col«<lective au cardinal de Retz pour le supplier d'intercéder auprès du roi, << surtout en faveur du cardinal Imperiale. » Paul de Gondi était donc bien puissant à la cour de France alors qu'il lui était interdit d'aller de Commercy à Joigny! Mais non; il s'agit tout simplement d'une circulaire adressée par les cardinaux de Rome à leurs collègues absents, ad absentes collegas. Gui Joly le déclare en propres termes, et un autre contemporain beaucoup plus digne de créance, Godefroy Hermant, que M. Ch. s'est résigné cette fois à citer comme une autorité, dit expressément, avant de donner in extenso cette lettre curieuse : « Les <«< cardinaux prenaient tant d'intérêt dans l'affaire du cardinal Impe<«<riale, leur confrère, qu'ils firent de sa cause particulière une cause «< générale de leur dignité, et écrivirent en sa faveur cette lettre à tous << les autres cardinaux absents pour demander tout à la fois leur pro tection et leurs avis 2. » Le cardinal de Retz s'empressa de montrer la lettre qui lui était adressée et d'en faire sa cour à Louis XIV; voilà le

1. Paris, 1707, un vol. in-4°. M. Ch. avertit, une fois pour toutes, qu'il a fait usage «< assez fréquemment » du récit « extrêmement diffus » de Desmarais.

2. Mémoires inédits.

fait dans toute sa simplicité. Cette affaire de la garde corse est infiniment curieuse et mériterait une étude particulière, mais il faudrait lui donner de très-grands développements, montrer, par exemple, comment Alexandre VII essaya de former une sainte ligue, et comment la vigueur de Louis XIV empêcha cette folie, etc 1. Il faudrait en même temps réduire le rôle de Retz à sa juste valeur, et dire que ce prélat, n'ayant pas encore reconquis la confiance du maître, ne fut pas appelé, en 1662, à rendre de véritables services au gouvernement, ce qui lui arriva trois ans plus tard, en 1665.

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A cette date, le cardinal de Retz fut envoyé à Rome pour arracher au pape un désaveu de son infaillibilité, et M. Ch. est le premier qui raconte cette affaire en détail. Les documents inédits qu'il entremêle à son récit, et notamment une grande lettre de Retz du 13 octobre 1665, confirment ce que l'on savait déjà, c'est-à-dire que Retz triompha sans peine du pusillanime Alexandre VII, et amena ce pontife à faire d'assez bonne grâce le sacrifice de ses plus chères prérogatives. Mais, cette fois encore, M. Ch. exagère le rôle du cardinal, et ce besoin d'exagérer produit des contradictions fâcheuses. Après avoir parlé (p. 214) « du rôle consi⚫dérable que joua le cardinal de Retz muni des pleins pouvoirs de ‹ Louis XIV », M. Ch. est obligé d'ajouter, quelques pages plus loin : • Louis XIV n'avait donné aucune instruction au cardinal de Retz < sur le rôle qu'il aurait à remplir à Rome. Dans cette situation, le cardinal se crut obligé, quelle humiliation pour un esprit de sa por• tée! de demander constamment des conseils à un simple auditeur « de rote, M. de Bourlemont. » (P. 222). Il est difficile d'accorder ensemble ces deux affirmations; c'est la seconde qui est la vraie. Ce chapitre, d'ailleurs très-intéressant, le meilleur du livre sans contredit, présente pourtant une lacune grave; M. Ch., prenant l'histoire par le menu, s'étend avec complaisance sur les relations de Retz et de Christine de Suède; il va même jusqu'à donner sur le Tartuffe de Molière quelques détails inédits, mais sans intérêt 2; pourquoi ne dit-il rien d'une mission dont le cardinal avait été chargé par Anne d'Autriche en personne? Cette princesse dont la piété souhaitait vivement la réforme de Citeaux, réclamée par les abbés de la Trappe et du Val Richer, avait chargé Retz de recommander cette affaire au pape; l'abbé de Rancé était alors à Rome pour le même objet, et il semble qu'un historien si bien informé devait nous montrer en face l'un de l'autre le héros de la Fronde et l'austère réformateur de la Trappe. Mais les Archives du ministère des Affaires étrangères ne renferment apparemment aucun document sur

1. Il y eut notamment une grande conférence politique à Madrid entre le nonce Bonnelli et don Etienne de Gomarra le nonce proposait la guerre, son interlocuteur en démontra toute la folie.

2. Christine de Suède demandait à Lionne une copie de la pièce pour la faire jouer à Rome sur son théâtre, le ministre écrivit que la chose était impossible (p. 426).

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cette question; M. Ch. ne l'a donc pas traitée, il s'est contenté de dire (p. 379) qu'il passerait sous silence « plusieurs questions ecclésiasti«ques que Retz eut à traiter, bien qu'il les ait presque toutes menées à << bien, avec son habileté ordinaire ». Mais ici l'habileté du cardinal échoua complètement contre le mauvais vouloir d'Alexandre VII, et il eût été intéressant de voir comment les choses se passèrent. Quant aux relations de Retz et de Rancé, elles « importent à l'histoire », n'en déplaise à M. Ch., autant et plus que les relations de politesse du cardinal avec la reine de Suède.

Les derniers chapitres du livre (conclaves de 1667, 1670 et 1676), me paraissent inférieurs à tout ce que M. Ch. a fait jusqu'ici; on dirait que l'historien fatigué avait hâte d'en finir avec un sujet que lui-même ne ju geait pas d'un très-grand intérêt. Tous les conclaves du xvIIe siècle se ressemblent ; quand on connaît ceux de 1655 et de 1689, dont la relation nous a été laissée par le cardinal de Retz et par l'abbé de Coulan. ges, on connaît tous les autres. Les quelques pages que M. Ch. consacre à ces trois assemblées de cardinaux, n'apprendront rien d'important aux historiens. Pourquoi faut-il même que M. Ch., si riche de son propre fonds, ait cité comme inédites une vingtaine de pièces que M. Champollion-Figeac avait publiées il y a plus de quarante ans? M. Champollion-Figeac avait, lui aussi, compulsé les Archives étrangères, et l'on trouve dans son Complément de la vie du cardinal de Rais (collection Michaud et Poujoulat, Mémoires de Retz, 1837, p. 600 et sq.) presque toutes les dépêches que M. Ch. cite d'après la Correspondance de Lionne; il y en a même de très-importantes que l'éditeur de 1837 a transcrites, et que l'on chercherait vainement dans l'ouvrage de M. Ch.

Le dernier et le plus marquant de ces trois conclaves, celui de 1676, a singulièrement embarrassé M. Ch. qui méprise trop le cardinal de Retz pour croire, avec Bossuet et Mme de Sévigné, à la sincérité de sa conversion en 1675. Aussi les faits les plus significatifs, les scrupules de Retz qui sollicite alors pour la première fois la permission de correspondre avec l'ambassadeur de France, son entente avec le vénérable cardinal d'Estrées pour assurer un bon pape à l'Eglise, son humilité après l'élection, ses nouvelles démarches pour renoncer à la pourpre, etc., ces faits sont atténués ou même passés sous silence. Ce n'est donc pas une histoire de ce conclave que l'on a sous les yeux, c'est un résumé très-rapide de ce qui s'y est produit de plus saillant; on attendait mieux d'un historien qui connaît si bien la biographie de Retz.

tous

M. Ch. annonce un quatrième volume dont l'intérêt sera beaucoup plus vif, puisqu'il se rapportera aux intrigues de Retz en 1648, mais alors M. Chantelauze aura en face de lui un rival redoutable. Le cardinal s'est chargé lui-même de cette partie de sa biographie, comme dit avec raison M. Champollion-Figeac, et personne ne voudrait la refaire après lui. Les mémoires de Retz en disent bien long sur la Fronde, et les

quelques erreurs qu'il a pu commettre ont été relevées avec tant de science dans la magnifique édition de M. Ad. Régnier, que la tâche du nouvel historien sera très-difficile.

A. GAZIER.

77. — Die Politik OEsterreichs in der spanischen Erbfolgefrage, von Arnold GŒDECKE. Leipzig, Duncker et Humblot. 2 vol. in-8°.

M. Goedecke s'est proposé de combler une lacune qui existe dans l'histoire diplomatique de la fin du xvir® siècle. La politique de l'Autriche, dans l'affaire de la succession d'Espagne, n'est connue qu'indirectement. M. G. a voulu l'étudier aux sources, aux archives de Vienne, et l'exposer à part dans une monographie. Son travail se divise en deux parties à peu près égales : 1o L'exposé historique. Après un résumé politique et un tableau des cours de France, d'Autriche et d'Espagne, M. G. présente les événements depuis le testament de Charles II, en 1696, jusqu'à la mort de ce prince, en 1700, et à la formation de la coalition de 1701. C'est donc, au point de vue de l'Autriche, une introduction diplomatique à l'histoire de la guerre de succession: ce travail, soutenu par des notes et des citations très-nombreuses, occupe, dans le tome I, les pages 5 à 205, et, dans le tome II, les pages 1 à 133; 2o des documents inédits tirés des archives de Vienne, tome I, 182 pièces, p. 1 à 160; tome II, 183 pièces, p. 1 à 204. M. Goedecke ne s'est pas contenté des sources inédites autrichiennes. Il a étudié les historiens espagnols et mis à profit les travaux de ses devanciers, et son ouvrage les complète par des pièces inédites. Pourquoi n'a-t-il pas rappelé dans une très-courte préface, à propos de la France et à côté des travaux de M. de Ranke et des correspondances publiées par M. Hippeau, le grand ouvrage de M. Mignet, qu'il cite d'ailleurs très-souvent?

78.

DE VIEL CASTEL. Histoire de la Restauration, tome XX et dernier. Paris, Calmann Lévy, 1878. 1 vol. in-8°, 713 p.

Ce volume, très-rempli, clôt dignement le grand ouvrage auquel M. de Viel Castel s'est consacré et qui lui a fait une place si respectée parmi les écrivains et les historiens politiques de notre temps'. Il contient le récit des événements depuis le mois de juin 1829 jusqu'aux journées de juillet 1830. On y retrouve les mêmes qualités que dans les

1. Cp. Revue critique, no 12, art. 67, p. 205.

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