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70. André THEVET. Les Singularitez de la France Antarctique, nouvelle édition avec notes et commentaires par Paul GAFFAREL, professeur à la Faculté des Lettres de Dijon. Paris, Maisonneuve. 1878, in-8° de xxxIII-459 p.

M. Gaffarel n'attribue point à Thevet plus de mérite qu'il ne faut : il reconnaît que cet auteur a toujours passé, même de son temps, pour ne pas avoir un jugement très-sûr, et que son style, d'une lourdeur redoutable, est parfois encore gâté par le pédantisme. Pourtant il lui semble que, trop attaqué pendant sa vie, le bon cordelier a été trop oublié après sa mort, et il déplore que « le plus consciencieux des bibliographes américains, » M. Harrisse, ait oublié ou négligé de le citer parmi les auteurs qui ont écrit sur la Nouvelle-France. Comme les Singularitez de la France antarctique sont fort rares et fort recherchées, M. G. a cru devoir éditer de nouveau un recueil qui, s'il n'est pas excellent, fournit du moins de curieuses informations « non-seulement sur l'essai de colonisation tenté par la France au Brésil, mais aussi sur les origines canadiennes et les premières années de la prise de possession de l'Amérique par les Européens. » M. G. me paraît avoir bien jugé les Singularitez quand il dit (p. vi): « Nous n'avons pas, contrairement à tant d'éditeurs, la prétention d'avoir remis en lumière un chef-d'œuvre nous n'avons cherché qu'à faire connaître une œuvre secondaire, mais utile et surtout intéressante. >>

Empressons-nous d'ajouter que M. G. a considérablement accru la valeur du recueil de Thevet, en répandant au bas de presque toutes les pages de sa très-fidèle réimpression 1, des notes qui éclaircissent ou corrigent le récit. Tantôt le commentateur critique une malencontreuse étymologie, tantôt il rapproche d'une phrase vaguement ou inexactement citée le texte même sur lequel Thevet s'est appuyé, tantôt il emprunte à quelque autre ouvrage du polygraphe angoumoisin un renseignement nouveau, le plus souvent enfin il oppose à ses témoignages trompeurs des témoignages contradictoires. Les notes géographiques surtout sont excellentes et M. G. a toujours suivi les meilleurs guides, notamment MM. d'Avezac, Ferdinand Denis, l'amiral Fleuriot de Langle, le baron

1. On a même reproduit, avec la plus minutieuse exactitude, les notules marginales de l'édition princeps, et, par exemple, la première de ces notules (p. 1) a conservé sa bizarre orthographe : Toutes choses ont esté faitles pour l'home. Le frontispice de 1558, le privilège du 18 décembre 1556, les pièces liminaires, les planches, en un mot tout ce qui se trouve dans l'édition d'il y a 321 ans, se retrouve dans celle-ci. On a poussé la précaution jusqu'à marquer en marge le folio de l'in-4° auquel correspondent les pages de l'in-8° de 1878.

2. Je ne sais trop si l'on doit approuver cette assertion de l'éditeur (p. 20), que la véritable étymologie des Canaries serait le mot canis. Puisque nous en sommes aux choses très-douteuses, mentionnons l'étrange conjecture de la note 1 de la page 68 : La pourpre que nous cherchons dans un murex n'était peut-être que le lichen roccella. »

de Buch, Agassiz, les rédacteurs du Bulletin de la Société de géographie, les rédacteurs de la Revue de géographie, etc. On remarquera çà et là de précis renseignements bibliographiques, comme ceux qui sont réunis au sujet des colonnes d'Hercule (p. 8), de l'Atlantide (p. 58), des Amazones (p. 330), etc. M. G. n'a pas négligé ces rapprochements qui jettent de la variété et du mouvement dans un commentaire, et on le voit avec plaisir rappeler tantôt la description que fait du pic de Téréniffe l'auteur de la Jérusalem délivrée (p. 26), tantôt la description que fait de la splendide végétation de l'île de Madère l'auteur des Lusiades (p. 40) 1.

On ne trouve guère de taches en toutes ces notes. J'aurais désiré qu'au sujet de la théorie des antipodes exposée par Virgile, évêque de Salzbourg, et désavouée par le « nouveau Galilée », lequel aurait été menacé des foudres de l'excommunication, M. G. indiquât (p. 95-96) les sources de son récit. Lui qui met habituellement de l'abondance et parfois même du luxe dans ses citations 2, comment ici s'est-il abstenu de toute référence? C'était pourtant plus que jamais le cas d'invoquer les plus nombreuses et les plus solides autorités, la question ayant été et étant encore l'objet de vives controverses. Je ne chercherai qu'une autre querelle au soigneux annotateur. Il a dit (p. 177) : « Thevet réclamait la punition des sorciers: on ne l'a que trop écouté. Bodin n'écrivit sa Démonomanie qu'en 1587. » La Démonomanie parut sept ans plus tôt (Paris, 1580), et loin d'être un plaidoyer en faveur des sorciers, c'est le plus absurde et le plus cruel réquisitoire qui ait peut-être jamais été dressé contre ces malheureux 3.

La notice sur Thevet est très-bien faite. Si les particularités nouvelles y manquent, ce n'est pas la faute de M. G. qui nous apprend (p. vi) que ses recherches, à Angoulême, sur la famille et les premières années du futur historiographe et cosmographe du roi, n'ont pas abouti. L'éditeur a, du moins, tiré parti des meilleurs travaux antérieurs, ceux de M. Ferdinand Denis (1851) et du prince Galitzin (1858). Il a étudié plus particulièrement en Thevet le collectionneur, l'homme qui «< avait une extrême curiosité, une véritable passion de connaître, » laquelle «< s'étendait à tout, aux livres, aux médailles, aux monuments, aux plantes et aux

5.

G

1. Voir encore (p. 121, 140, 181, 199, 207) divers rapprochements avec certains passages des Essais de Montaigne.

2. Ce ne sera certes pas moi qui m'en plaindrai. Quis tulerit Gracchos de seditione querentes?

3. On a prétendu, je ne l'ignore pas, que le traité de la Démonomanie avait été écrit d'une plume ironique et uniquement pour déconsidérer, par une ridicule exagération, la cause des magistrats qui faisaient brûler ceux qu'il aurait fallu guérir; mais cette thèse est insoutenable et la Démonomanie, chose douloureuse à dire! est l'œuvre d'un esprit convaincu, d'un esprit qui fut, à d'autres égards, un des plus vigoureux et des plus hardis du xvr® siècle.

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animaux 1; le voyageur, qui visita l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Turquie, l'Egypte, l'Arabie, la Palestine, le Brésil, etc.; l'auteur de tant de travaux imprimés et aussi de tant de travaux manuscrits; 2 l'ami du président Bourdin, célèbre à la fois comme jurisconsulte et comme bibliophile; du docte Gilbert Genebrard, qui lui dédia deux poëmes hébraïques; des poètes Jean Antoine de Baïf, Jean Dorat, Joachim du Bellay, Etienne Jodelle, qui tous composèrent en son honneur des odes et des épîtres; de Guy Lefevre de la Boderie, 3 qui lui offrit un poëme; de Ronsard, le maître du chœur, qui lui prodigua les éloges les plus brillants, éloges que, plus tard, il est vrai, il désavoua et retira en remplaçant le nom de Thevet par celui de Belon; * enfin l'introducteur, en France, du tabac. Comme ce dernier mérite de Thevet est généralement ignoré et que M. Gaffarel le fait valoir avec une aimable verve, le lecteur ne me reprochera certainement pas de reproduire ici la spirituelle péroraison de l'éditeur des Singularitez de la France Antarctique (p. xxxii-xxxii) :

« Le plus impudent, et, pour Thevet, le plus regrettable de ces plagiats, fut commis par Jean Nicot de Villemain, ambassadeur de France en Portugal. Ce diplomate passe pour avoir introduit le tabac en France. Il reçut, il est vrai, d'un négociant flamand qui revenait d'Amérique, des graines de cette précieuse solanée, et les donna, comme un présent de grande valeur, à la régente Catherine de Médicis, au grand prieur et à plusieurs grands personnages. Mais Thevet, bien avant lui, avait observé et décrit le tabac. Bien avant lui, il en avait apporté des plants en France: nous ne pouvons que renvoyer le lecteur au chapitre xxxn du

1. Thevet, toujours poursuivi par la fatalité, a été oublié dans un livre spécial : Les collectionneurs de l'ancienne France. Notes d'un amateur, par Edmond BonnaFFÉ (Paris, in-8', 1877).

2. M. G. signalant (p. xxv) les Vrais portraits et vies des hommes illustres qui parurent en 1584 (Paris, 2 vol. in-f*) et reparurent en 1670-71 (Paris, 8 vol. in-12), dit, au sujet de cette réimpression : « L'éditeur paraît avoir été Guillaume Colletet. »> Or, G. Colletet était mort depuis plus de dix ans (11 février 1659).

3. On a imprimé (p. xxvii) Guy Lefevre de la Borderie. A propos de Jodelle, comment M. G., qui cite Sainte-Beuve et Geruzez (p. XLIII), ne cite-t-il pas M. Ch. MartyLaveaux, qui a dit le dernier mot sur ce poète, comme sur Dorat et du Bellay?

4. Après s'être occupé des amis de Thevet, M. G. s'occupe des amis du polygraphe (Jean de Léry, Fumée, François de Belleforest) et des critiques qui le maltraitèrent. Il va loin, ce me semble, quand il assure (p. xxx) que le président de Thou a mis de l'acharnement dans ses attaques contre un homme auquel il refuse tout talent et toute conscience. J. A. de Thou a pu être un juge sévère; il n'a pas été un juge passionné. Ses appréciations, du reste, ne sont pas plus dures que celles de ses illustres amis, Casaubon et Scaliger, dont M. G. n'a pas parlé. Il n'a pas parlé non plus des violentes tirades de l'historien La Popelinière, de la terrible sentence dont les rédacteurs de la Bibliothèque historique de la France (t. I, p. 56) frappent l'insigne menteur et l'écrivain fort ignorant, des piquantes épigrammes de B. de La Monnoye (Sur La Croix du Maine, t. I, p. 21). En revanche, M. G. n'a pas mentionner deux jugements favorables à Thevet, celui de G. de Lurbe (De illustribus Aquitaniæ viris, 1591) et celui de M. de Ruble (Commentaires de Blaise de Monluc).

présent ouvrage, où il trouvera la description très-complete et fort exacte du tabac. Dès 1558, Thevet avait donc fait connaître le tabac à ses ingrats compatriotes: il considérait même comme un point d'honneur pour lui d'avoir introduit cette plante en France, et, dans sa Cosmographie universelle (t. II, p. 926), il eut grand soin de protester contre les prétentions de Jean Nicot. Le passage est curieux :,«< Je me puis vanter avoir esté le premier en France, qui a apporté la graine de cette plante, et pareillement semée, et nommé ladite plante, l'herbe Angoumoisine. Depuis un quidam, qui ne feit jamais le voyage, quelque dix ans apres que je fus de retour de ce païs, luy donna son nom. » La légitime revendication de Thevet ne fut jamais écoutée. On ne voulut pas accepter cette dénomination d'herbe angoumoisine qu'il avait pourtant le droit de lui imposer, et l'oublieuse postérité continua et continue à rendre grâces à Nicot d'un bienfait dont elle ne lui est pas redevable. Qu'il nous soit du moins permis de nous inscrire en faux contre cet inique jugement, et de proclamer bien haut que c'est à Thevet, et rien qu'à Thevet, que le trésor public doit le plus magnifique de ses revenus, et la majorité de nos lecteurs une jouissance quotidienne. En souvenir de ce bienfait méconnu, puissent ces mêmes lecteurs fermer les yeux sur les imperfections qui déparent l'œuvre de Thevet, et ne plus voir dans ce modeste écrivain, trop attaqué de son vivant, trop oublié après sa mort, que le premier ou du moins le plus ancien des historiens de l'Amérique. »

T. de L.

71. — Guerre de la succession d'Espagne. Négociations entre la France, l'Angleterre et la Hollande (en 1705 et 1706) par H. Reynald, ancien élève de l'École normale, professeur d'histoire à la Faculté d'Aix. Paris, E. Thorin. 1878, 199 p. in-8°.

Le présent travail est extrait des Comptes-rendus de l'Académie des sciences morales et politiques, et se compose de deux mémoires lus par l'auteur devant cette compagnie savante. M. Reynald a voulu, dans ces quelques chapitres, nous donner un aperçu des négociations entamées entre la France et les Pays-Bas après la défaite de Ramillies, les efforts tentés par la diplomatie française pour dissoudre la grande alliance et l'échec subi par elle, grâce à l'habileté supérieure de Marlborough et la force même des choses. Pour écrire ces mémoires substantiels, rédigés d'un style sobre et approprié au sujet, M. R. a surtout utilisé les récents travaux de M. de Noorden sur l'histoire du xvme siècle, le grand ouvrage de M. Sirtema de Grovestins sur Louis XIV et Guillaume III, les Mémoires de Marlborough publiés par Coxe et les papiers du grand général anglais, plus récemment mis au jour par M. Vreede 1. Il ne s'est

1. Il aurait pu consulter encore les deux volumes récemment parus de M. Arnold Godeke, Die Politik Spaniens in der spanischen Erbfolgefrage.

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pas contenté de ces sources déjà connues, mais nous trouvons encore dans son travail quelques pièces inédites empruntées aux archives du ministère des affaires étrangères et des citations d'un Journal inédit du professeur Cuypert, membre des états-généraux des Pays-Bas et délégué par ceux-ci aux armées alliées. Sur le travail en lui-même, nous n'avons que peu de chose à dire; c'est un dépouillement consciencieux des auteurs indiqués plus haut qui ne fait qu'approfondir sur quelques points des données depuis longtemps connues en gros de ceux qui ont étudié de plus près l'histoire de la guerre de succession d'Espagne; on n'a qu'à ouvrir, par exemple, le dix-septième volume de la grande Histoire nationale de Wagenaar, pour s'en assurer. Néanmoins, c'était une entreprise méritoire de communiquer au public français les résultats de recherches encore peu connues chez nous et l'on doit en être reconnaissant au professeur de la faculté d'Aix. Malheureusement son travail est déparé par de nombreuses fautes d'impression d'abord 1 et surtout par la désinvolture regrettable avec laquelle M. R. traite les noms propres, soit de lieux, soit de personnes. Non-seulement il les travestit de la façon la plus capricieuse, mais encore il nous présente les mêmes noms sous des formes différentes, sans doute au hasard de ses propres lectures. Michel de Chamillard, l'incapable ministre de Louis XIV, voit son nom écrit tour à tour avec un d et un t. L'ambassadeur d'Autriche à Paris, qui appartenait à la famille des comtes de Sintzendorf, est appelé tantôt Zizendorf et tantôt Zinzendorf. Le diplomate hollandais, M. de Geldermalsen, paraît aussi sous le nom de Gueldermarsen; Gotthard van Ginckel, créé comte d'Athlone par Guillaume III, devient le général Althone; le comte de Hompesch se change en Homspech; le général hollandais Wassenaar Obdam est appelé par M. R. Opdam; l'ambassadeur autrichien aux Pays-Bas, le comte Jean-Pierre de Goes, est nommé tantôt Goëz et tantôt Goez. Un autre commandant hollandais, Slangenburg, est constamment appelé Slagenberg. Le célèbre ingénieur Koehorn, le duc d'Aerschot, M. Vreede deviennent Cohorn, Archot et Wreede. Le général portugais de Prado s'appelle une fois marquis Las Minas, une autre fois das Minas; un même diplomate français s'appelle successivement M. de Caillières, M. de Callières et M. de Callière; Henri de Nassau, comte d'Ouwekerk, est toujours appelé Overkerke. Il y a d'autres noms que nous n'avons pu identifier, mais qui nous inspirent de la défiance, par exemple, p. 89, un général Aubeck et, p. 168, un comte de Bergueick; ces noms sont assurément travestis comme les précédents. Les noms de localités ne sont pas mieux traités. Blenheim au lieu de Blindheim, peut s'expliquer, au besoin, par un usage constant de notre langue, qu'il serait temps de réformer, mais Shallenberg au lieu du Schellenberg, Khel au lieu de Kehl, Brissach au lieu de Brisach,

1. Toutes ne peuvent pas se mettre au compte du compositeur; dès la page 1, M. R. écrit le droit de dissolution pour de dévolution.

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