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D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 13

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29 Mars

1879

Sommaire : 52. LE BLANT, Étude sur les sarcophages chrétiens antiques de la 53. DEMOLINS, Histoire de France, tomes I et II.

ville d'Arles.

des Inscriptions.

Académie

52.

ville

Étude sur les sarcophages chrétiens antiques de la d'Arles, par M. Edmond LE BLANT. Dessins de M. Pierre FRITEL. (Collection de documents inédits sur l'histoire de France publiés par les soins du Ministre de l'instruction publique). Paris, imprimerie nationale. 1878, in-fol. xxxix-84 p. 36 pl.

Dès le siècle dernier Maffei exprimait le désir de voir publier les sarcophages des premiers siècles qui abondent dans plusieurs villes du midi de la France, notamment à Arles. « L'on apprend beaucoup de choses, disait-il, des bas-reliefs chrétiens, et il serait bien à souhaiter d'avoir un recueil gravé de tous ceux de France, comme Bosio et Aringhi ont fait de ceux de Rome. » Cette lacune vient d'être comblée par le savant qui représente avec la plus incontestable autorité, de ce côté-ci des Alpes, l'épigraphie et l'archéologie chrétiennes. Grâce à M. Le Blant, nous possédons aujourd'hui la collection complète de ceux de ces monuments qui se trouvent au musée ou dans les églises d'Arles, et l'antique cité galloromaine n'a plus rien à envier à ses rivales d'Italie.

Les sarcophages chrétiens ornés de figures sont, comme on sait, la dernière manifestation de l'art symbolique, tel qu'il s'offre à nous dans les catacombes. Les plus anciens d'entre eux remontent à peine à l'époque des peintures cémétériales les plus récentes, j'entends celles qui font partie du cycle primitif. Sur les 493 inscriptions datées, que M. de Rossi a recueillies pour les quatre premiers siècles de l'Eglise, 18 seulement proviennent de sarcophages à figures, et, parmi celles-là, 4 seulement appartiennent à l'ère des persécutions. On peut dire, en thèse générale, que les sarcophages à sujets ne commencent à faire leur apparition qu'après l'édit de Milan, alors que certaines fresques chrétiennes datent déjà du temps des Césars. Cette remarque s'applique d'ailleurs à toutes les autres productions de la sculpture. C'est à peine si l'on compte quatre ou cinq statues en ronde bosse antérieures à Constantin (le saint Hippolyte, les deux & Bon Pasteur » du Musée du Latran, celui du musée de Saint-Irène, etc.). L'art byzantin a hérité de cette hostilité, qui tient évidemment à des scrupules religieux; aujourd'hui encore, au mont Athos, comme en Russie, la sculpture occupe une place absolument subalterne.

Nouvelle série, VII

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Dans une introduction qui fera époque, M. Le B. a recherché I origine des motifs représentés sur les sarcophages, et, pour toute une catégorie de ces motifs, il a réussi à la déterminer avec une certitude absolue. Frappé de l'analogie de certaines épitaphes avec les liturgies funéraires, il s'est demandé si le choix des sujets destinés à orner les tombeaux n'était pas, quelquefois aussi, dicté par l'attachement aux rites de l'Eglise. En examinant les litanies de la « Commendatio animæ quando infirmus est in extremis », il y a trouvé une foule de traits pouvant s'appliquer aux sculptures des sarcophages. Quelques citations feront toucher au doigt cette parenté, cette filiation : « Libera, Domine, animam ejus, sicut liberasti Enoch et Eliam de communi morte mundi; sicut liberasti Noe de diluvio;- Abraham de Ur Chaldæorum ; - Job de passionibus suis; - Isaac de hostia et de manu patris sui Abrahæ ; - Lot de Sodomis et de flamma ignis; Moysen de manu Pharaonis; - Danielem de lacu leonum; — tres pueros de camino ignis ardentis; - Susannam de falso crimine; David de manu regis Saul, et de manu Goliath ; Petrum et Paulum de carceribus; Theclam de atrocissimis tormentis », etc., etc.

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Le plus ancien manuscrit de la «< Commendatio animæ » remonte seulement, il est vrai, au ixe siècle. On pouvait donc être tenté d'admettre que ces formules avaient été inspirées par la vue des sujets figurés sur les sarcophages, qu'elles en étaient le produit, et non le point de départ. Mais divers indices permirent à M. Le B. de croire que le texte de la << Commendatio» était, en réalité, plus ancien, et qu'il datait des premiers siècles. La découverte de la célèbre coupe de Podgoritza, appartenant aujourd'hui à M. Basilewsky, lui a fourni un argument absolument décisif en faveur de son hypothèse. Dans cet objet, qui est du ve siècle, on trouve déjà des inscriptions de tout point semblables à celles des liturgies funéraires. A côté de Daniel dans la fosse aux lions, on lit: DANIEL DE LACO LEONIS; à côté des trois Hébreux dans la fournaise : TRIS PVERI DE EGNE CAMI(ni); à côté de Suzanne : SUSANNA DE FALSO CRIMINE; enfin à côté de Jonas : DIVNAN DE VENTRE QVETI LIBERATVS EST. La haute antiquité de la << Commendatio animæ » se trouvant ainsi mise hors de doute, il est évident que les sculpteurs des sarcophages n'ont fait bien souvent que traduire les formules des prières récitées par l'Eglise au chevet des agonisants. Nous n'avons, en effet, pas besoin de rappeler que bon nombre des sujets choisis par eux se rapportent aux exemples invoqués dans la liturgie ci-dessus reproduite : l'enlèvement d'Elie, Noé dans l'arche, Job sur le fumier, le sacrifice d'Isaac, le passage de la mer Rouge, Daniel dans la fosse aux lions, les trois Hébreux dans la fournaise ardente, le jugement de Susanne, etc. Quant aux autres sujets, ils procèdent d'un ordre d'idées différent, qui n'a jusqu'ici pu être déterminé.

La découverte de M. Le B. a une portée fort grande. S'il nous était permis d'adresser une critique à l'éminent archéologue, ce serait de n'a

voir pas indiqué toutes les conséquences qui en découlent. C'est ainsi que nous devons nous demander si son système ne peut pas s'appliquer aux peintures des catacombes, prototypes des sarcophages. Là aussi, en effet, abondent les scènes visées par la « Commendatio ». Il aurait été, en outre, intéressant de rechercher dans quelle mesure le caractère funéraire domine dans l'art des catacombes. Mais M. Le B. nous répondrait, et nous ne saurions sur ce point lui donner tort, qu'il n'a voulu s'occuper, quant à présent, que des sarcophages, et qu'il se réserve de traiter, en temps et lieu, les autres problèmes soulevés par son livre.

On vient de voir que, dans un assez grand nombre de cas, les sujets choisis par les sculpteurs de sarcophages se rattachent à des textes déterminés et sont directement inspirés par l'Eglise. S'ensuit-il que celle-ci ait exercé un contrôle incessant sur les productions des artistes? Pas plus que M. Le B., nous ne saurions nous ranger à ce système qui compte aujourd'hui tant de partisans 1. L'Eglise a souvent pu fournir le thème des fresques, des sculptures, mais, jusque vers le triomphe de Constantin, elle s'est très-certainement bornée à de simples indications, laissant aux artistes le soin d'interpréter et de développer à leur gré ces données, forcément très-sommaires. Notre opinion acquerra plus de poids en présence du caractère privé de la plupart des monuments funéraires. Ceux qui les commandaient étaient d'ordinaire de simples particuliers. Ne serait-il pas invraisemblable d'admettre que l'Eglise est intervenue à chaque instant dans l'exécution d'œuvres qui n'étaient pas destinées au culte?

On a usé et abusé des rapprochements entre la littérature patristique et les monuments figurés. « L'exemple donné par les Pères », dit M. Le B., « a conduit à chercher dans chaque sujet, souvent même dans ses moindres accessoires, l'expression d'une pensée mystique. Les docteurs de l'Eglise ont, en effet, ouvert par leur méthode d'explication un large champ à l'exégèse conjecturale » 2. Ces tendances, on ne saurait

1. a Che poi le pitture e sculture sacre non si debbano giudicare un aborto di abitudine prava, e quasi un avanzo di costume idolatrico, basterà osservare che esse non sono in luoghi privati soltanto, ma nei pubblici altresì; ond' è forza che siano stati ordinati da quei che stavano al governo della società cristiana, in quei tempi di viva tradizione apostolica e di fede illibata. E ciò si dimostra ancora dell' accordo che le pitture e sculture hanno fra loro, quantunque di siti, di regioni, di nazioni diverse: il qual maraviglioso concerto non potrà spiegarsi, se supponiamo che da un sol principio non emanano. Adunque la Chiesa constituita da Cristo in Roma, sotto il governo del suo capo visibile, è da dirsi aver prima dettate le leggi, che poi furono universalmente seguite e in Occidente e in oriente, » etc., etc. (Garrucci, Storia dell' arte cristiana, t. I, pp. 5-6.)

2. Il ne serait pas inutile, à ce sujet, de distinguer entre les écrits des Pères de la première période et ceux de la seconde. A l'origine, ainsi que M. Piper l'a constaté dans son vaste travail intitulé Einleitung in die monumentale Theologie; les

se le dissimuler, remontent aux débuts du christianisme. Dans son Pasteur, écrit vers 92, Hermas déjà, en décrivant la tour destinée à symboliser l'Eglise, nous apprend que les sept femmes occupées à la construction représentent la Foi, etc., et les six hommes les anges; que les différentes espèces de pierres répondent aux différentes catégories de fidèles, etc., etc. Mais il était réservé à saint Augustin d'exercer, à cet égard, l'influence la plus fâcheuse. Veut-on savoir, entre autres, pourquoi Moïse a frappé à deux reprises différentes le rocher d'Horeb? Le docteur d'Hippone nous apprendra que c'est parce que deux pièces de bois devaient former la croix du Christ. Autre exemple: que signifient les quatre animaux que saint Jean a décrits dans l'Apocalypse (Iv, 6-7), et dont les artistes ont fait la personification des Évangélistes? Saint Augustin, d'accord d'ailleurs sur ce point avec saint Jérôme, nous prouve que l'homme (l'ange) représente saint Mathieu, parce que le récit de cet auteur débute par la généalogie humaine du Christ; le lion, saint Marc, parce que celui-ci, dès le second verset, nous fait entendre la voix du lion rugissant dans le désert; le veau, saint Luc, dont l'Evangile s'ouvre par l'histoire de Zacharie, prêtre et sacrificateur; l'aigle enfin, saint Jean, qui, d'un vol audacieux, s'élance dans les régions sublimes pour dérouler à nos yeux comme la généalogie du Christ: In principio erat Ver

bum 1.

On peut affirmer qu'étant donnée pour l'artiste la nécessité de se conformer à de pareille interprétation, il n'y aurait plus eu d'art possible.

Le travail de M. Le B., avec sa méthode essentiellement critique, ne tardera pas, nous en sommes convaincu, à provoquer une réaction salutaire, et à ruiner le crédit de certaine école aux yeux de laquelle la valeur d'une explication est en raison de sa subtilité. Il faudrait citer en entier les pages dans lesquelles l'auteur nous montre que les Pères ont été loin de s'accorder sur le sens des représentations même les plus fréquentes. Prenons pour exemple les trois Hébreux dans la fournaise ardente les Pères y ont vu tour à tour le symbole de la Résurrection, — ceux de l'Eglise militante, - du martyre, - de la tyrannie qu'exercera l'Antechrist. Même abondance d'explications pour la plupart des autres sujets : Daniel exposé dans la fosse aux lions et nourri par Habacuc figure, selon les uns, la Résurrection; selon d'autres, l'Eucharistie; ou bien encore le secours apporté par les prières aux âmes du purgatoire; ou

Pères se sont bien plus occupés de l'art païen que de l'art chrétien. Dans leurs polémiques avec les Gentils ils se seraient exposés à une défaite certaine s'ils avaient voulu opposer les productions de leurs coreligionnaires à l'admirable ensemble de l'architecture, de la sculpture, de la peinture classiques (Cf. Ebert, Geschichte der christ. lat. Literatur, pp. 29, 68). On a conclu de leur silence et il a fallu de longs efforts pour détruire ce préjugé que pendant les premiers siècles il n'y

avait pas d'art chrétien.

1. Martigny, Dictionnaire, au mot: Evangéliste.

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enfin la Passion du Christ. La vigne est à la fois le symbole du Christ, - de l'Eglise, — des fidèles, — de la Résurrection, de l'Eucharistie, etc., etc. Conçoit-on l'embarras de l'artiste s'il avait voulu consulter tant d'oracles divers!

Ce serait peu connaître les habitudes, les aspirations des naïfs peintres des catacombes que de leur prêter des idées aussi subtiles. M. Le B. a raison de dire que, parmi les explications dues aux docteurs, les moins cherchées sont, à coup sûr, celles qui ont pénétré le plus facilement dans l'esprit des masses. Celles dont la foule comprenait sans peine la signification ont seules pu inspirer les œuvres d'art, ces livres des simples, des illettrés. L'idée de salut, de résurrection, qui s'imposait à tous devant les tombes, et dont les Pères nous montrent tant de figures dans les Ecritures, voilà celle que les peintres, les sculpteurs représentent de préférence. Qu'on dresse la statistique des sujets, on verra quelle infime minorité forment les sujets empreints du mysticisme raffiné qu'on est aujourd'hui trop tenté d'attribuer aux artistes de cette époque. La représentation même dans laquelle ces tendances se manifestent le plus clairement, l'IXOYC, est plutôt un signe graphique qu'une œuvre d'art; elle tient de l'écriture presque autant que du dessin.

Dans les peintures ou sculptures vraiment dignes de ce nom, c'est-àdire dans celles où intervient la figure humaine, on remarque une indépendance fort grande, non-seulement vis-à-vis des Pères, mais encore vis-à-vis des Ecritures. A chaque instant les artistes s'écartent des données fournies par la littérature. Les preuves réunies par M. Le B. sont fort concluantes. C'est ainsi que les urnes de Cana sont tantôt en nombre supérieur, tantôt en nombre inférieur à celui qui est indiqué par saint Jean 1. David et Goliath sont figurés de même taille; Ève porte une coiffure recherchée, des bracelets et un collier à médaillons; le fumier, ou plutôt la cendre qui sert de siège à Job, est remplacé par un tabouret élégant, etc., etc. On peut ajouter à ces anomalies la présence de deux mages seulement dans une fresque du cimetière de S. Pierre et S. Marcelin 2, de quatre dans une fresque du cimetière de Domitille 3, de six enfin dans le fameux vase du musée Kircher 4. Rappelons aussi la fresque des Catacombes de Naples qui représente la Tour d'Her

1. Ce fait ne ruine-t-il pas l'hypothèse de ceux des Pères qui prétendent que les six urnes de Cana représentent les six âges du monde!

2. De Rossi, Imagines selectæ deiparæ Virginis in cœmeteriis subterraneis udo depictæ, pl. v; Kraus, Die christliche Kunst in ihren frühesten Anfængen, p. 100; Allard, Rome souterraine, pl. iv, no 2.

3. De Rossi, Imagines selectæ, pl. iv.

4. Photographie Parker, no 3119; Rohault de Fleury, La Sainte Vierge, t. I, pl. xxxv, p. 158.

Bien que les Evangiles n'aient pas précisé le nombre des Mages, la tradition l'avait d'assez bonne heure fixé à trois. Cf. Bayet, dans les Archives des missions scientifiques, 3 série, t. III, p. 467.

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