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Les trois tragédies romaines de Shakespeare, Jules César, Antoine et Cléopâtre, Coriolan, remplissent toute la seconde partie du volume de M. S. Il analyse et décrit, d'après Plutarque et Shakespeare, les caractères de César, de Brutus, de Cassius, de Portia, d'Antoine, de Cléopâtre, de Coriolan, de Volumnie. Brutus est « un idéaliste, d'une humeur calme et douce, aimant aveuglément la justice, ferme et étroit dans l'accomcomplissement de ce qu'il croit être son devoir » ; Cassius est «< un politique, violent de sa nature, intéressé, habile, et, pourvu qu'il atteigne son but, peu scrupuleux sur le choix des moyens » ; Antoine, « une noble nature à qui manque le sens moral,... une nature ornée de toutes sortes de qualités brillantes, mais sans solidité, éprise des formes changeantes et trompeuses d'une beauté purement esthétique, et où la grandeur, la bonté, la noblesse, séparées de l'élément moral, n'étaient qu'une appa

rence ».

Une multitude de détails et de traits expressifs servent à motiver ces jugements: c'est la partie la plus intéressante de l'ouvrage; ce sont d'excellentes études de psychologie en même temps que des modèles de critique littéraire.

Tout en analysant les différents personnages de ces drames, M. S. essaie de marquer les traits qui forment l'originalité du génie de Shakespeare et qui font de lui un créateur de caractères unique, incomparable. Il oppose, comme on l'a fait avant lui, la méthode de Shakespeare à celle de la plupart des auteurs dramatiques qui simplifient, généralisent le type qu'ils ont conçu, qui peignent leurs portraits de profil, tandis que Shakespeare ne craint jamais de peindre les siens de face, dans la mobilité de leur physionomie. » M. S. ajoute, et c'est là que sa critique devient originale et hardie : « Shakespeare porte la vérité de ses caractères jusqu'à ce degré de perfection, de richesse et de plénitude, où ils renferment en eux-mêmes leur propre contradiction. » En d'autres termes, Shakespeare ne marque pas toutes les paroles, tous les discours de ses personnages par des traits identiques, concourant à un même effet; il lui suffit que le caractère ressorte nettement dans son ensemble, dans un grand nombre de détails; mais, tout à côté, il y a des traits qui appartiennent à la commune humanité, qui vont même, selon l'expression de M. S., jusqu'à contredire légèrement le caractère fondamental. Nous sommes d'accord jusqu'ici avec M. S., et nous reconnaissons qu'en procédant ainsi, Shakespeare ne fait que suivre plus fidèlement la nature; car elle aussi, lors même qu'elle se donne la peine de créer des caractères tranchés, y mêle de ces parties neutres, ou même contraires. Mais nous ne pensons pas avec M. S. que ces contradictions légères « révèlent un art plus profond que tout ce qu'on admire » ; nous croyons que, dans la plupart des cas, Shakespeare n'en avait pas conscience, que c'étaient tout simplement des négligences, des distractions de génie, résultat heureux et involontaire de sa manière de composer plus libre et plus large. M. S. avoue lui-même, à l'occasion d'une contradiction qu'il désapprouve,

que c'est le fait d'une étourderie du poète (p. 352); eh bien! ces étourderies, selon nous, sont bien plus nombreuses qu'il ne le suppose; mais souvent elles sont heureuses et ne font, comme nous l'avons dit, que rendre plus sensible la ressemblance des caractères de Shakespeare avec les êtres réels et vivants.

Peut-être M. S. nous fera-t-il volontiers cette concession; car il n'a point pris parti entre les critiques qui soutiennent que Shakespeare est un artiste ayant clairement conscience de sa profondeur et ceux qui admirent la naïve ignorance des merveilleuses richesses qu'il répand à pleines mains. Il occupe une position intermédiaire, mais il revendique pour la critique le droit de dégager des œuvres des poètes les intentions même qu'ils n'ont pas eues. « Qu'importe qu'ils ne les aient pas eues, si elles sont dans leurs œuvres? » Et il ajoute, en termes élevés : « La plus belle tâche que puisse se proposer la critique, c'est de repenser avec clarté ce que le génie a conçu plus ou moins confusément, et, semblable à Mercure, de se faire près des hommes l'interprète des dieux. »

Les passages que nous venons de citer suffisent à montrer le caractère de la critique de M. S. Elle est à la fois hardie et mesurée. En lisant son livre, on se sent en présence d'un auteur qui ne craint point d'aller jusqu'au bout de sa pensée, qui ne recule pas devant un paradoxe et consent à être seul de son avis; mais en même temps M. S. est conduit par son esprit juste et droit à des conclusions le plus souvent modérées. Son instinct le porte à tout oser, et son jugement modère son audace. Cette hardiesse théorique et cette mesure de goût et de jugement forment une individualité critique très-marquée et très-originale, qui nous inspire beaucoup de sympathie.

Nous ferons pourtant à M. S. quelques légères chicanes. Et d'abord, puisqu'il a le bonheur d'être quelqu'un, de n'emprunter à d'autres ni la forme ni le fond de ses jugements, nous le prions d'être plus sobre de citations, de ne pas les multiplier sans nécessité. A cet égard, le titre d'un volume qu'il nous annonce, nous inquiète un peu. Shakespeare et Molière, c'est parfait; mais pourquoi ajouter et la critique allemande? Qu'il marque les caractères différents de la comédie française et de la comédie anglaise, rien de mieux; mais qu'il ne s'attarde pas (c'est le défaut que nous lui reprochons) à commenter des commentaires.

M. S. ne veut pas que l'érudition envahisse le domaine de la critique littéraire; à plusieurs endroits, il se montre impitoyable sur ce point (voir p. 64 et 65, p. 295); ne s'expose-t-il pas dans quelques chapitres de son livre (sur l'instruction classique de Shakespeare, sur Troïlus et Cressida) à sa propre critique? - Enfin, on s'aperçoit çà et là que la transformation du cours en livre n'est pas assez complète : citer trois fois le jugement connu d'Aristote sur l'histoire et la poésie, c'est trop! (P. 7.p. 43, p. 296).

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Malgré quelques négligences, l'ouvrage est excellent, et nous dirions

que la France compte un critique littéraire de plus, si l'étude sur Sterne et les Causeries parisiennes n'avaient pas été déjà plus et mieux que des promesses de talent.

Ernest LICHTENBERGER.

44. Geschichte Russlands und der europæischen Politik vom zweiten Pariser Frieden bis zum Aachener Congress, von Th. von BERNHARDI, Dritter Theil, Leipzig, Hirzel, in-8°, vin et 731 p. Prix: 10 mark (12 fr. 50).

Ce volume forme la suite de la grande histoire de la Russie et de ses relations avec l'Europe au XIXe siècle, entreprise par M. de Bernhardi et dont nous avons signalé les précédents volumes. M. de B. reprend les événements au retour d'Alexandre en Russie en 1815 et les conduit jusqu'au congrès d'Aix la Chapelle en 1818. Les affaires intérieures de la Russie, si peu et si mal connues, occupent la moitié du volume (ch. I à VII). Le reste est consacré au rôle de la Russie en Europe (ch. viri à XIII) : affaires de France, affaires d'Espagne et d'Italie, affaires d'Orient et relations avec l'Allemagne 1. On retrouve dans ce volume les mêmes qualités que dans les précédents : beaucoup de recherches, une grande étendue de connaissances; mais on rencontre aussi les mêmes défauts, une exposition compacte et lourde, des chapitres placés les uns après les autres sans liaison aucune, un texte trop plein, trop peu éclairé et relevé de citations et de notes 2. M. de Bernhardi a fait suivre son récit d'un certain nombre de documents (Beilagen); signalons, entre autres, l'annexe V relative aux réclamations des particuliers envers la France. Huit autres annexes (Berichtigungen und Ergänzungen) se rapportent aux volumes antérieurs.

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Histoire de la République de 1848 par Victor PIERRE. Tome II. Paris, Plon, 1878, in-8°, 727 p.. Prix: 8 fr.

Les hommes qui aiment l'histoire écrite clairement et sans parti pris, qui répugnent aux préjugés et au fanatisme, quels qu'en soient l'origine ou le nom, qui apprécient un style coulant, agréable et relevé çà et là par une certaine ironie un peu attristée qui naît à la fois de l'expérience

1. M. de Bernhardi juge très-sévèrement le tsar Alexandre et ses réformes; nous recommandons surtout dans cette partie l'étude sur la constitution polonaise de 1815, la critique des colonies militaires, le tableau des agitations de l'Eglise en Russie et en Pologne, le récit des conquêtes dans le Caucase, et, en général, tout ce que dit l'auteur de la question des paysans, des traités de commerce avec la Prusse (9-21 décembre 1818), et de l'administration financière de Gurjew.

2. M. de Bernhardi a surtout consulté Bogdanovicz et Pypin; mais il doit beaucoup à lui-même et à ses propres souvenirs.

des hommes et de la méditation isolée sur l'avenir du pays, avaient lu avec grand intérêt le tome I de l'Histoire de la République de 1848, de M. Victor Pierre. Le tome II, attendu et réclamé souvent, vient de paraître et complète cet ouvrage, le plus solide à coup sûr qui ait été encore écrit sur ce difficile sujet, et le seul qui sorte de la littérature des mémoires ou de la polémique, pour s'approcher de l'histoire. M. V. P. s'était arrêté à l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte; il nous conduit jusqu'au coup d'Etat du 2 décembre 1851. Les titres qu'il a donnés aux principales divisions de son ouvrage marquent les événements autour desquels il a groupé son récit. - Livre I: La proposition Rateau; II, L'expédition de Rome; III, Chute de la Constituante; IV, Le Treize-Juin; V, La question romaine; VI, Liberté de l'enseignement; VII, La loi du 31 mai; VIII, Changarnier; IX, L'Algérie; X, La Révision; XI, La Crise; XII, Le coup d'Etat. Ce volume forme une introduction essentielle à l'histoire du second Empire: hommes et choses y sont montrés dans leurs origines, et les causes du succès, comme celles de la catastrophe, apparaissent jusque dans les événements qui ont préparé le coup d'Etat. Cette suite dans les idées et cette préoccupation constante de l'enchaînement des faits est la qualité supérieure du livre. M. V. P. est un critique souvent judicieux et pénétrant : les doctrines reçues en politique ne l'arrêtent pas, et il ne se laisse pas abuser par les mots. Il est aisé de voir qu'il n'est pas un croyant de la république, qu'il est un adversaire déclaré du césarisme, qu'il aime la liberté. On devine en lui un partisan assez découragé de la monarchie traditionnelle et constitutionnelle, et, en religion, une âme qui incline vers le catholicisme de Montalembert. Nous n'insisterons pas d'ailleurs sur ces points délicats, pas plus que nous n'entrerons dans la discussion du livre. Ce serait sortir du cadre de ce recueil. Bornonsnous à signaler la conclusion de l'auteur en faisant nos réserves sur les dernières lignes trop pessimistes qui suivent (p. 712) dans le livre le passage cité. «< Ainsi finit la seconde République, dit, p. 709, M. V. P. Née d'un coup de main populaire, elle succomba sous un coup de force du pouvoir, comme si la Providence avait ménagé cette succession de représailles. Victoire du peuple en février, victoire de l'armée en décembre : le peuple n'eut pas plus d'honneur à désarmer des soldats qui avaient ordre de ne pas se défendre, que l'armée à triompher d'un peuple qui y avait renoncé... Placée entre le socialisme et César, il parut à la France qu'il y avait moins de péril à épouser César. Elle y consentit. Vote tout politique et de nécessité, qui ne justifie ni César d'avoir violé sa parole et multiplié les proscriptions contre ses adversaires, ni la constitution d'avoir fermé toute issue légale aux vœux de l'opinion, ni la nation d'avoir oublié à tel point le respect d'elle-même qu'elle est forcée de se prêter à tous ces régimes et de se heurter à toutes les dictatures, celle de l'émeute comme celle de l'aventurier » (p. 711).

Lettre de M. Sayce et réponse de M. Guyard.

Me sera-t-il permis de protester contre la tentative faite par M. Stanislas Guyard, dans son article sur l'Histoire de Sennacherib de Smith, de me charger d'une responsabilité que je décline absolument 1? Ou M. Guyard n'a pas lu ma préface du livre, ou il a mal compris ce que j'y dis. J'y ai expliqué que ma responsabilité comme éditeur commence seulement à la page 154. Les pages qui précèdent n'ont pas été imprimées d'après le manuscrit de Smith, comme le dit M. Guyard, mais elles étaient déjà tirées quand elles furent remises en mes mains. J'étais donc dans l'impossibilité d'y changer une seule lettre. Mieux que cela: elles avaient été imprimées il y a plus de six ans, avant que M. Smith ne partît pour sa première mission d'où il a rapporté une grande portion des matériaux qui ont mis M. Guyard et d'autres en état de critiquer son œuvre. Dans la préface, j'ai moi-même appelé l'attention sur les nombreuses erreurs de traduction que les progrès faits dans les recherches assyriennes durant les six dernières années nous permettraient de découvrir. Mais j'ai pensé et je pense encore que, malgré les erreurs de détail, la traduction, considérée en son ensemble, peut être regardée comme exacte et que l'œuvre a conservé sa valeur. Au sujet des corrections qu'il propose, M. Guyard aurait pu trouver des éclaircissements dans mes propres ouvrages aussi bien que dans ceux de M. Lenormant et du Dr Delitsch. La lecture dagammi au lieu de dadmi s'explique bien simplement par ce fait que la valeur du second caractère n'avait pas encore été découverte par Smith au temps où sa traduction des textes relatifs à Sennachérib fut imprimée.

Pour les douze dernières pages de la traduction, je porte la pleine responsabilité; je sais très-bien qu'elle n'est pas irréprochable. Néanmoins, je dois maintenir les deux interprétations que M. Guyard voudrait corriger. Peut-être verra-t-il plus tard que j'ai raison. Je crois deviner ce qui a conduit M. Pognon à sa nouvelle (et, comme je le crois, fautive) interprétation de kharsan.

Queen's College, Oxford, 6 février 1879.

Réponse de M. Guyard.

A.-H. SAYCE.

Dans mon article sur l'Histoire de Sennacherib de Smith, éditée par M. Sayce, j'ai dit très-clairement que les inscriptions traduites par Smith remplissent les cent cinquante-trois premières pages, et que celles qu'a interprétées M. Sayce occupent les pages 154-165. J'ai eu tort, je le reconnais, de me servir de l'expression «< a fait imprimer tel quel le manuscrit de Smith », puisque M. Sayce nous apprend aujourd'hui que les cent cinquante-trois premières pages étaient déjà tirées. D'après sa pré

1. Voir Revue critique, 1879, no 4, art. 12, p. 69.

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