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D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 11

15 Mars

1879

Sommaire : 41. ZELLER, Sur l'éternité du monde suivant Aristote et sur les prédécesseurs grecs de Darwin. 42. ROBERT, Etat des catalogues des manuscrits des bibliothèques de Belgique et de Hollande. 43. STAPFER, Shakespeare et l'Antiquité : 1" partie, l'Antiquité grecque et latine dans les œuvres de Shakespeare. - 44. DE BERNHARDI, Histoire de la Russie et de la politique européenne, de la paix de Paris au congrès d'Aix-la-Chapelle. 45. PIERRE, Histoire de la République de 1848. Tome II. Lettre de M. Sayce et réponse de M. Guyard. Une lettre de Paine à Danton sur le choix d'une résidence pour l'Assemblée (communiquée par M. Taine). Charles Appleton, directeur de l'Academy. Académie des Inscriptions.

41.-E. ZELLER. Ueber die Lehre des Aristoteles von der Ewigkeit der Welt. Ueber die griechischen Vorgænger Darwins. Berlin, Dümmler, (Harrwitz und Gossmann), 1878, in-4°.

Ces deux mémoires lus à l'Académie de Berlin par M. Zeller, l'auteur de l'histoire de la philosophie grecque, sont liés par le sujet plus étroitement que les titres, Sur l'éternité du monde suivant Aristote, Sur les prédécesseurs grecs de Darwin, ne semblent l'indiquer. Dans le premier mémoire, M. Z. établit que la doctrine de l'éternité du monde est tout à fait Aristotélique, qu'avant Aristote, tous les philosophes représentaient le monde comme s'étant formé dans le temps, et que Platon ne s'est pas prononcé sur la question, soit qu'elle ne lui ait pas paru digne d'être examinée, soit qu'il l'ait jugée insoluble. Le second mémoire traite d'un point fort intéressant des cosmogonies de la philosophie anté-socratique, de la manière dont ces philosophes rendaient compte de la formation des êtres organisés. Ce que disait Empedocle à ce sujet est particulièrement digne d'attention. Suivant lui, les plantes étaient sorties d'abord du sein de la terre. Les animaux étaient venus ensuite. Il n'était pas sorti d'abord de la terre des organismes complets, mais seulement des parties séparées, des têtes sans cou, des bras sans épaule, des yeux sans orbite. Quand l'amour l'emporta de plus en plus sur la haine, ces parties se cherchèrent et s'unirent, d'abord au hasard, et il se produisit ainsi des hommes avec une tête de taureau, des taureaux avec une tête d'homme, des hermaphrodites, etc. Ces êtres monstrueux disparurent bientôt et furent remplacés par d'autres capables de se reproduire, mais qui, eux aussi, se formèrent graduellement, après avoir été primitivement des masses informes sans membres, sans organes sexuels. Ces imaginations grossières ne pourraient faire reconnaître dans Empédocle un vrai prédécesseur de Darwin, si Aristote, en discutant la question des causes Nouvelle série. VII.

II

finales (Phys., II, 8), ne mentionnait pas le nom d'Empedocle à propos d'une objection fort remarquable. Le service que nous rendent les incisives et les molaires pourrait être le résultat de formes que les dents auraient prises fortuitement, comme la croissance du blé est le résultat de la pluie. Les êtres où tous les organes auraient été ainsi formés par hasard, se sont conservés parce que le hasard les a faits comme en vue d'un but; ceux qui n'ont pas été formés de manière à vivre, n'ont pas subsisté et continuent à périr, comme, suivant Empédocle, les taureaux à visage d'homme 1.

M. Z. établit qu'Empédocle ne pouvait pas avoir eu l'idée des causes finales, qu'Anaxagore a eue le premier, qu'il n'avait pu penser à combattre cette théorie, et que sa cosmogonie a suggéré à Aristote l'idée de l'objection qu'il exprime avec sa précision ordinaire. On reconnaît dans ces deux mémoires la qualité qui distingue le grand ouvrage de M. Zeller, le sens historique, qui fait souvent défaut aux philosophes.

42.

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Etat des catalogues des manuscrits des bibliothèques de Belgique et de Hollande, par Ulysse ROBERT. Paris, Picard, 1878, 24 pages in-8°. (Extrait du t. XXIV du Cabinet historique.)

Une masse de renseignements exacts et précieux, méthodiquement rangés en quelques pages, voilà ce qu'est l'Etat que M. Robert vient de prendre la peine de dresser. Il indique lui-même, dans l'Avertissement, le plan qu'il a suivi : « Nous avons indiqué d'abord, avant les catalogues <«<de chaque ville, les recueils ou ouvrages relatifs à l'ensemble des bibliothèques de chacun des deux pays ou relatifs seulement à plusieurs << d'entre elles. Sous le titre de chaque ville sont indiqués les catalogues, << autant que possible par ordre chronologique. L'indication des recueils, << tels que ceux de Haenel, de Migne et de Pertz, termine la série. Enfin, << nous avons cru devoir mentionner en détail toutes les bibliothèques « dont Sanderus 2 a donné le catalogue, parce qu'il en est beaucoup << sur le sort desquelles il n'est pas toujours facile d'être fixé. Si quel<< ques-unes ont échappé aux vicissitudes du temps, si elles sont restées «< là où elles étaient il y a deux cent cinquante ans, il sera possible de les explorer; quant à la plupart, elles ne sont plus qu'à l'état de souvenir « qu'il est bon de conserver. » Grâce à la persévérance qui distingue son

1. Phys., II, 8, 198, 6 29 (Bekker) : ὅπου μὲν οὖν ἅπαντα συνέβη ὥσπερ κἂν εἰ ἕνεκά του ἐγίνετο, ταῦτα μὲν ἐσώθη ἀπὸ τοῦ αὐτομάτου συστάντα ἐπιτηδείως· ὅσα δὲ μὴ οὕτως, ἀπώλετο καὶ ἀπόλλυται, καθάπερ Εμπεδοκλῆς λέγει τὰ βου γενῆ ἀνδρόπρωρα. Aristote répond (34) : ἀδυνατον δὲ τοῦτον ἔχειν τὸν τρόπον ταῦτα μὲν γὰρ καὶ πάντα τὰ φύσει ἢ ἀεὶ οὕτω γίνεται ἢ ὡς ἐπὶ τὸ πολύ, τῶν δ ̓ ἀπὸ τύχης καὶ τοῦ αὐτομάτου οὐδέν.

2. Bibliotheca belgica manuscripta, etc. Insulis, 1641, 2 vol. in-4°.

auteur et à un habile système d'information qu'il a su employer, cette petite bibliographie toute spéciale approche tellement du complet absolu, que nous nous sentons, en vérité, tout fier d'y pouvoir apporter une addition presque insignifiante. Parmi les vingt catalogues que cite M. R. pour Leyde, figurent les deux suivants :

1. Catalogus librorum tam impressorum quam manuscriptorum bibliothecae publicae universitatis Lugduno-Batavae, etc. Lugd. ap. Batav. 1716. In-fol. de xvi-500 pages, plus la table qui n'est pas paginée. (Les mss. sont p. 324-494.)

2. Catalogus librorum manuscriptorum qui inde ab anno 1741 bibliothecae Ludgduno-Batavae accesserunt. Descripsit Jac. Geel, etc. Lugd. 1852. In-4o de vi-306 pages.

Le titre même du second ouvrage révèle l'existence évidente d'un supplément, publié en 1741, au Catalogue primitif de 1716. C'est aussi ce que M. R. s'était dit. Mais s'il est au monde une rara avis, c'est bien ce supplément. M. R. ne pouvait le rencontrer dans les bibliothèques de Paris, qui ne le possèdent point. De Leyde même, paraît-il, par l'effet d'une distraction concevable 1, une personne, dont la compétence ne fait point question, lui en niait positivement l'existence dans le service de la bibliothèque. M. R. se résigna donc à admettre qu'il n'existait point: et l'Etat n'en parle pas. Nous avons eu la bonne fortune de tenir entre nos mains, à la bibliothèque même de l'Université de Leyde, dans le département des manuscrits, ce supplément dont voici le titre :

Supplementum Catalogi librorum tam impressorum quam manuscriptorum bibliothecae publicae universitatis Lugduno-Batavae ab anno 1716 usque ad annum 1741. Lugduni in Batavis. Sumptibus Samuelis Luchtmans, Acad. Typographi et Cornelii Haak. 1741. In-fol. de mêmes dimensions que le catalogue de 1716, paginé 501-534, relié, dans l'exemplaire que nous avons eu sous les yeux, en un même volume avec le catalogue de 1716 et placé à la suite de l'Index auctorum qui termine celui-ci. (Cf. la description reproduite ci-dessus au no 1.)

« La Hollande, » dit M. R. dans l'Avertissement, « est la terre classi« que des catalogues, puisque c'est là qu'ont été imprimés, et relative<ment en grand nombre, les premiers recueils de ce genre, dès la fin du « XVI° siècle et au commencement du xviio. » Et, un peu plus haut : « Le • premier catalogue de Leyde, qui paraît être le plus ancien ou du moins « un des plus anciens catalogues connus, remonte à 1595. » Mais les Espagnols, qui réunirent, au xvIe siècle, tous les genres de gloire, avaient aussi précédé la Hollande dans cette voie. Nous citions tout à l'heure une rara avis; en voici une rarior, mais dont cette fois nous ne parlerons que par ouï-dire. Le catalogue des manuscrits grecs que renferma la bibliothèque de l'illustre archevêque de Tarragone, Antoine Augustin, fut publié dans l'année qui suivit la mort de son possesseur († 1586), à

1. Les bibliothécaires de Leyde ont à leur disposition un excellent catalogue manuscrit, qui est une refonte des divers catalogues imprimés, de plus parfaitement tenu à jour, et duquel, par suite, ils se servent uniquement.

Tarragone, sous le titre : Bibliotheca graeca manuscripta Antonii Augustini. Nous n'avons pu, jusqu'à présent, constater la présence de ce livre dans aucune des nombreuses bibliothèques de Paris, d'Espagne et de plusieurs autres contrées de l'Europe où nous l'avons cherché. Iriarte, au siècle dernier, eut la chance de pouvoir se le procurer, après l'avoir longtemps considéré comme introuvable 3. Enfin, ajoutons qu'elle a été imprimée au t. VII, p. 31 et suiv. des Antonii Augustini opera omnia (Lucae, 1772. In-fol.).

On annonce, en finissant, comme une bonne nouvelle au lecteur la promesse par laquelle M. Robert termine son Avertissement : cet Etat n'est que le commencement d'une « revue bibliographique qui compren<< dra les bibliothèques de plusieurs pays de l'Europe. »

Ch. GRAUX.

43.

Shakespeare et l'Antiquité, par Paul STAPFER. 1" partie : l'Antiquité grecque et latine dans les œuvres de Shakespeare. Paris, Fischbacher, in-8o, vin et 190 p. - Prix: 7 fr. 50.

Nous aurons bientôt, comme les Anglais et les Allemands, toute une littérature de Shakespeare. Voici un nouveau commentaire qui vient s'ajouter aux études de MM. Mézières, Taine, Guizot, Ph. Chasles, Montégut, Fr.-V. Hugo: il traite de l'antiquité grecque et latine dans les œuvres de Shakespeare. Dans un premier chapitre, M. Stapfer décrit la renaissance des lettres en Angleterre, les pièces des prédécesseurs de Shakespeare qui portent la marque de l'imitation des anciens, le Gorboduc de Sackville, le Jugement de Paris, de Peele; il analyse la Défense de la poésie de Sidney, dont il donne de nombreux et intéressants extraits. Dans le deuxième chapitre, M. S. se demande quels étaient les sentiments de Shakespeare à l'égard des doctrines littéraires de son temps; il conclut avec raison qu'il n'était pas plus l'ennemi que l'ami des doctrines classiques, et que l'antiquité n'était à ses yeux qu'un grand magasin de matériaux pour son art ». M. S. discute ensuite la question, fort controversée, de l'instruction classique de Shakespeare. Après avoir exposé le pour et le contre, les opinions de Farmer et de Knight, de M. Hebler et de Gervinus, il se prononce en faveur de l'opinion que Shakespeare comprenait le latin et ne savait pas le grec.

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En parlant des anachronismes de Shakespeare, M. S. distingue entre les anachronismes de pure ignorance ou de pure étourderie qui sont des fautes, quoique légères et vénielles, et les anachronismes de mœurs qui sont non seulement permis, mais nécessaires, puisque le poète est avant

1. Regiae Bibliothecae Matritentis codices graeci mss. (Madrid, 1769), p. It ; « Antonii Augustini, Archiepiscopi Tarraconensis, Bibliothecam ms. Graecam, omnium ejus librorum longe rarissimum, qui multum diuque a me quaesitus, tandem ad manus meas forte fortuna pervenit. »

tout de son temps, et que toute grande œuvre d'art porte la profonde empreinte de l'époque où elle a été faite. Notons, en passant, cette définition spirituelle, mais inattendue, de la révolution romantique de 1830 « la liberté rendue aux anachronismes naturels de l'art ».

Après ces chapitres préliminaires, M. S. aborde l'étude des différentes œuvres de Shakespeare dont le poète a emprunté la matière à l'antiquité.

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Ce sont d'abord les deux poëmes par lesquels il a débuté, Vénus et Adonis et Lucrèce. Le premier, selon M. S., et nous partageons son avis, est une œuvre pleine de passion; le second est froid, prolixe et déclamatoire. La Comédie des Méprises est imitée des Ménechmes de Plaute; M. S. la compare à la pièce originale, ainsi qu'aux imitations de Rotrou et de Regnard. Dans la longue étude sur Troïlus et Cressida, M. S. expose, d'après les ouvrages de MM. Joly, Dunger, Moland et d'Héricault, les transformations que la légende troyenne et celle des amants ont subies depuis Homère jusqu'à Shakespeare; il suit les principaux personnages du drame dans Quintus de Smyrne, dans les romans du pseudo-Darès et du pseudo Dictys, dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte-More, dans le Filostrato de Boccace, dans le Troylus and Cryseyde de Chaucer, dans les Histoires de Troye de Le Fèvre, traduites en anglais par Caxton. En se rendant compte des sources où a puisé Shakespeare, on ne s'étonne plus de la partialité qu'il montre pour les Troyens; elle était commune à tout le moyen âge; on ne songe plus à voir dans cette pièce avec Ulrici une protestation prophétique contre l'abus qu'on devait faire un jour de l'antiquité, ni avec Fr.-V. Hugo un plaidoyer en faveur de la liberté de l'art. La conclusion de M. S. sur cette pièce si discutée, est aussi fine que juste (p. 210): « Troïlus et Cressida est, en somme, l'amusement d'un grand génie en vacances, qui, trouvant dans la légende des deux amants et dans celle de la guerre de Troie un cadre à sa fantaisie, l'a rempli avec une certaine hâte, mais en y prodiguant la vie dramatique, la richesse d'idées, l'esprit, le pathétique et la poésie dont il est coutumier. Chercher dans cette pièce une intention profonde, c'est montrer qu'on n'y comprend rien. Pour l'apprécier, il faut entrer dans l'humour de Shakespeare, s'affranchir de toute préoccupation littéraire et morale, et ne pas prétendre être plus sérieux qu'il ne l'a été lui-même. On admire alors un poète si parfaitement détaché de tous ses personnages, prenant ses aises avec tant d'indépendance, dominant enfin son sujet avec la plus magistrale désinvolture, et l'on est de l'avis de Goethe, qui disait à Eckermann : « Voulez-vous connaître toute la liberté de l'esprit de Shakespeare? lisez Troilus et Cressida. »

La pièce de Périclès appartient-elle à Shakespeare? M. S. incline à le croire, et, pour expliquer les disparates de ce drame excellent en quelques scènes, médiocre dans la plupart, il suppose, avec Malone et Fr.-V. Hugo, mais sans en donner de preuves suffisantes, que c'est un essai de la jeunesse de Shakespeare repris et achevé par lui en 1609.

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