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27. — Études d'histoire bohême. Huss et la guerre des Hussites, par Ernest DENIS, ancien élève de l'École Normale supérieure, agrégé d'histoire. Paris, E. Leroux, 1878, x11, 506 p. in-8'. – Prix : 8 fr.

Les études sur Huss et sur le mouvement religieux et politique inauguré par lui sont nombreuses en Allemagne et surtout en Bohême; elles ne manquent même pas en France, bien qu'elles y aient été généralement entreprises au point de vue religieux plutôt qu'à celui de la science historique. On ne saurait prétendre néanmoins que le travail de M. Denis soit inutile et nous en saluons l'apparition, pour notre part, avec un très-vif plaisir. L'auteur, avant de composer son livre, a séjourné pendant assez longtemps dans le pays dont il voulait raconter l'histoire ; il s'est approprié l'idiome tchèque, si difficile à maîtriser avec ses innombrables consonnes, et s'est ainsi mis à même de consulter les sour. ces nombreuses écrites dans la langue nationale de la Bohême. Cela seul lui donne un avantage incontestable sur tous les écrivains français et la plupart des écrivains allemands qui se sont occupés de la matière ; car, si bien des sources sont rédigées en latin, des documents plus nombreux encore, et beaucoup de narrations plus récentes, sont écrits en langue bohême. A ce premier mérite vient s'en ajouter un autre, plus sérieux encore à nos yeux. M. D. est doué d'un esprit impartial et vraiment scientifique qui lui permet d'avancer avec assurance sur un terrain qui n'a pas cessé d'être brûlant de nos jours, et d'apprécier les phases diverses de l'histoire qu'il nous raconte avec un calme et une rectitude de jugement, qui nous plaît chez un jeune écrivain. Sans pencher vers la manière de voir de certains théologiens protestants, allemands ou français, qui voient uniquement dans le hussitisme un précurseur de la Réforme, il en a néanmoins saisi le caractère religieux et politique à la fois; sur l'un et l'autre terrain, il en a déterminé la nature avec une liberté d'esprit qui lui a valu, dit-on, de la part des représentants attitrés du cléricalisme, quelques remarques aigre-douces lors de sa soutenance en Sorbonne, mais qui lui vaudront des éloges de la part de tout critique indépendant et sérieux.

L'ouvrage de M. D., précédé d'une introduction d'une quarantaine de pages, se divise en deux parties. La première, intitulée Huss, la réforme et la révolte, nous retrace à larges traits les antécédents du mouvement hussite pendant le règne de Charles IV, la création de l'Université de Prague en 1348, la situation de l'Eglise en Bohême et les besoins de réforme que son triste état moral fit surgir de toutes parts. L'auteur nous parle successivement des précurseurs de Huss, Conrad de Waldhausen, Mathias de Janow, etc., qui, dans leurs sermons et leurs écrits mystiques, prêchent déjà le retour à l'Eglise du

1. Je crois bien que l'on continuera à dire tchèque et non cèque, comme le fait M. D., son c italique devant répondre à la prononciation tch. C'est là une innovation trop compliquée pour réussir.

Christ et des apôtres. Il arrive ensuite à Jean Huss lui-même, décrit son enseignement à Prague, relate ses luttes avec l'archevêque de cette ville, sa citation devant le concile, son procès et sa condamnation, jusqu'au 6 juillet 1415, jour où le grand docteur tchèque périssait à Constance dans les flammes du bûcher 1.

M. D. ne s'est pas étendu fort longuement sur le côté théologique des discussions qui aboutirent à la sentence de mort. Il ne s'y sentait pas absolument compétent peut-être, et, pour le dire en passant, la partie théologique de son livre est incontestablement la moins satisfaisante du volume. Cela nous semble provenir, en partie, de ce qu'il n'a point arrêté suffisamment sa propre opinion sur la valeur des doctrines religieuses de Huss. Il nous dira, p. 112: Il est incontestable que la proposition de Huss n'allait à rien moins qu'à faire de l'Ecriture l'unique fondement de la foi » et à la page suivante, il paraît retirer cette assertion catégorique, en disant : « Huss ne peut être condamné ou loué pour des actes qu'il eût réprouvés. Ils étaient en germe, dira-t-on, dans sa réponse à l'archevêque. Peut-être. » Autre part encore, comparant Huss à Luther, il oppose à ce dernier « la modération plus grande de Huss dans l'attaque, son respect plus grand de l'autorité dans la révolte » (p. 65). Il ne s'est pas dit que le développement intime de Huss a été forcément étouffé par la catastrophe de 1415 et que, si Luther avait péri sur le bûcher après l'affichage des thèses de Wittemberg, mais avant le colloque de Leipzig, nous ne le jugerions sans doute pas autrement qu'il ne juge aujourd'hui le docteur de Prague. Nous n'aimons aucunement l'histoire conjecturale, mais cependant il est hors de doute pour nous que Huss, échappé de Constance, aurait suivi l'inéluctable loi du développement intérieur qui s'annonçait en lui et que, loin de les condamner, il eût appuyé, p. ex., dix ou quinze années plus tard, les idées exprimées dans la belle lettre des Pragois à la chrétienté (p. 273). Aussi nous ne saurions admettre, avec M. D., que le concile de Constance ait violé n'importe quelles lois ecclésiastiques ou civiles, en l'envoyant au supplice. Du moment que l'on admet que nous ne pouvons juger les hommes du xve siècle d'après nos idées moderet je suis d'accord avec l'auteur sur ce point, du moment qu'il est admis que les hérétiques devaient être brûlés, le concile n'a fait que remplir son devoir. Soutenir que Huss n'était point hérétique, puisqu'il l'affirmait lui-même avec une entière bonne foi, c'est rendre impossible toute déclaration d'hérésie au sein de l'Eglise, chacune se réclamant toujours d'une partie de ses dogmes et prétendant les interpréter de la meilleure manière. Huss avait ébranlé l'une des assises du majestueux édifice de l'Eglise catholique et les Pères de l'Eglise savaient bien qu'il

nes

1. Pourquoi M. D. n'a-t-il pas mentionné, au moins en note, la touchante anecdote de la vieille femme apportant du bois au bûcher? Histoire ou légende, elle nous offre un si beau trait de caractère, qu'on regrette de ne pas la trouver.

fallait frapper le coupable, car, en enlevant cette assise, il faisait chanceler l'édifice tout entier. Comment M. D., qui dit pourtant quelque part que Huss donna le signal de « la révolution qui devait se terminer par la destruction de l'Unité catholique », n'a-t-il pas compris cette inexorable logique?

La seconde partie du livre de M. D. est intitulée La Guerre. Nous y assistons à l'explosion de la colère religieuse et politique qui fit la révolution bohême. L'auteur nous montre la noblesse et les classes populaires, intéressées, à des titres divers, à la ruine de l'Eglise. Sans nier l'existence de convoitises brutales, mêlées à l'exaltation religieuse, il se garde bien cependant de ne voir dans cette dernière qu'une repoussante hypocrisie. Nous ne suivrons pas M. D. dans le récit de cette lutte épique entre la Bohême hérétique et l'Europe chrétienne, où quelques chefs de hasard, Jean Ziska, Nicolas de Hûs, Procope le Grand, tiennent tête à l'empereur Sigismond et au pape Martin V et repoussent leurs croisades successives. Les luttes intestines entre Calixtins et Taborites, les négociations avec un nouveau concile, l'écrasement des radicaux hussites à Lipan, la signature des Compactats de Bâle remplissent une série de chapitres, très-bien pensés et très-bien rédigés. C'est à peine si nous nous trouvons en dissidence avec l'auteur sur un ou deux points de son récit. Ainsi nous serions moins craintifs pour affirmer que, pour la plupart des Taborites, comme un siècle plus tard pour les paysans d'Allemagne, la guerre fut tout aussi sociale que nationale. La conduite de la noblesse bohême rendait une pareille attitude presque inévitable. Nous trouvons aussi que l'auteur exagère considérablement en disant que les invasions hussites jetèrent l'Allemagne pantelante aux genoux des hérétiques ». Il a trouvé lui-même une note infiniment plus juste en disant, trente pages plus loin: ⚫ Leurs victoires fatiguèrent les Hussites plus que les défaites des croisés ne fatiguaient les catholiques. » Il est bien évident, en effet, que la population bohême dut être continuellement sous les armes, tandis qu'en Allemagne, si les provinces limitrophes étaient horriblement foulées, les provinces plus éloignées s'apercevaient à peine de l'existence des hérétiques, par la demande de subsides extraordinaires qu'on leur présentait de temps à autre, sous prétexte de combattre l'ennemi commun.

Enfin M. D., bien qu'il ait eu la perception fort nette du véritable état des choses (voy. surtout p. 485), n'en célèbre pas moins, avec beaucoup trop d'insistance à notre avis, « les conquêtes de la Révolution ». Au fond, la Bohême ne gagna rien à cette lutte terrible et barbare. Elle en sortit matériellement appauvrie, presque ruinée, asservie politiquement à une noblesse ambitieuse et tyrannique, ayant perdu, par l'expul

1. Ayant répété moi-même autrefois, dans cette Revue, l'erreur bien répandue que Ziska signifiait le Borgne, je dois dire ici que M. D. nous apprend que c'est une des nombreuses libertés prises par Æneas Silvius Piccolomini, plus tard le pape Pie II, avec l'histoire et la philologie bohêmes.

sion des populations urbaines allemandes, tout tiers-état de quelque importance et de quelque valeur, décimée dans sa population rurale, sur laquelle surtout avait pesé le poids de la lutte, et que cette lutte même changeait définitivement en une masse tremblante et servile, écrasée de corvées et d'impôts. En présence de toutes ces ruines, où donc fut le gain de la lutte? Serait-ce, comme le dit M. D., d'avoir montré la faiblesse de l'Eglise catholique en la forçant d'accorder les compactats de Bâle? Ce résultat, incomplet et d'ailleurs tout-à-fait éphémère 2, ne valait certes pas le sang que l'on venait de verser. L'utraquisme officiel, que l'auteur appelle avec raison une « révolte illogique », ne sut pas même rester à la hauteur de ces concessions acquises et va se rapetissant sans cesse, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une espèce de catholicisme inconséquent et honteux. En ce qui concerne son existence politique, sociale et religieuse, sa vitalité propre, la nation bohême, loin de faire des «< conquêtes », s'est donc sacrifiée en vain. Pour tirer quelque consolation de ces sacrifices en apparence inutiles, il lui faut se placer à un point de vue plus général, celui que M. Renan faisait récemment valoir, en parlant des ruines de Jérusalem, dans une des plus belles pages de son Antechrist: « Les peuples, dit-il, doivent choisir entre les destinées longues, obscures, tranquilles, de celui qui vit pour soi, et la carrière troublée, orageuse, de celui qui vit pour l'humanité. La nation qui agite dans son sein des problèmes sociaux et religieux est presque toujours faible comme nation. Tout pays qui rêve un royaume de Dieu, qui vit pour les idées générales, qui poursuit une idée d'intérêt universel, sacrifie par là même sa destinée particulière, affaiblit et détruit son rôle comme patrie terrestre. On ne porte pas impunément le feu en soi. Il en fut ainsi de la Judée, de la Grèce, de l'Italie.... » Il en fut aussi de même, dans une certaine mesure, de la Bohême du xve siècle. Elle ne s'est jamais remise des maux dont elle fut alors frappée. Mais la protestation de la conscience humaine, élevée par Huss, soutenue par les armes de ses disciples et pieusement continuée par les Frères de l'Unité Bohême, alors que l'utraquisme eut cessé d'être une foi vivante, fut transmise au xvi° siècle

1. Nos sympathies pour les races et les nationalités opprimées ne sont pas douteuses et nous avons exprimé plus d'une fois celles que nous inspirait le sort de la Bohême. Il faudrait pourtant s'entendre, au point de vue de la vérité historique, sur ces lamentations de certains historiens tchèques dont M. D. s'est fait en quelques endroits l'écho. Quand l'autocratie des Habsbourgs renversa la constitution bohême, après la défaite de la Montagne-Blanche, il n'y avait plus de libertés publiques à pleurer; ce qui sombra, ce furent les privilèges exorbitants de quelques centaines d'oligarques, qui n'inspirent qu'une pitié mêlée de mépris, puisqu'ils ne surent ou ne vou lurent faire aucun sacrifice pour sauver ces privilèges. Nous renvoyons M. D. aux volumes récemment parus de M. Gindely, pour y voir ce qu'était alors cette caste gouvernante de la Bohême.

2. M. D. fait remarquer lui-même, avec raison, que jamais le pape Eugène IV, ni aucun de ses successeurs, n'ont approuvé d'un mot les concessions signées par le concile de Bâle.

et reprise par Luther. Le protestantisme allemand, sans être le descendant direct de Huss, n'a fait que généraliser encore la lutte, entamée, cent ans plus tôt, par le grand docteur de Prague.

Nous avouerons maintenant qu'il est une partie de l'ouvrage de M. D. à laquelle nous ne saurions accorder les éloges que nous donnions tout à l'heure au livre lui-même, c'est sa Bibliographie. Il est vraiment fàcheux qu'elle se trouve à l'entrée même du volume, car elle risque de gâter, dès le début, l'impression favorable qu'on emporte du travail de M. D. Elle est mal faite en effet, fautive par ce qui y est, comme par tout ce qui y manque, comme si l'auteur l'avait lestement expédiée à la dernière heure, pour se débarrasser d'une tâche ennuyeuse autant qu'obligatoire. Il serait pourtant bien désirable que nos jeunes écrivains français - les vieux ne l'apprendront plus guère voulussent enfin s'habituer à donner une attention sérieuse à cette partie du travail scientifique qui consiste à énumérer, à classer, à apprécier les sources, à les citer avec exactitude, etc. Une bonne bibliographie de son sujet est la première et indispensable tâche qui s'impose à tout historien sérieux, qu'il la fasse pour lui-même ou pour le public; c'est la base de toute étude historique. Nous savons bien que, dans les cercles universitaires surtout, on reproche à cette Revue la tendance « mesquine » de revenir sans cesse sur ces « infiniment petits » du métier: Pas si « petits » qu'on veut bien le dire; car, pour ne citer qu'un exemple, si je ne savais, pour l'avoir lu d'un bout à l'autre, que M. D. est un travailleur sérieux, fort au courant de son sujet, j'aurais pu concevoir de son mérite une opinion médiocre en feuilletant seulement sa Bibliographie. En lui voyant dire que M. J. Scherr a publié sa Culturgeschichte en 1813 et M. Gindely son Histoire de la guerre de Trente Ans en 1848, je devais en conclure qu'il n'avait jamais tenu ni l'un ni l'autre de ses ouvrages entre les mains et qu'il avait copié au hasard quelque citation d'autrui. Cela seul me renseignait au besoin sur la confiance que je devais accorder à son travail. Je lui aurais fait une injustice criante sans doute, mais, franchement, aurait-il eu le droit de s'en plaindre?

Je ne comprends pas bien non plus quel principe, autre que le hasard, ou le catalogue de la bibliothèque de Prague, a présidé à la formation de cette Bibliographie. Voulait-il seulement y mettre les sources véritables? Alors il s'y trouve bien des titres inutiles et cependant on n'y trouve pas tous ceux qui devraient s'y rencontrer. Nous citerons seulement la célèbre Chronique du concile de Constance d'Ulrich de Richenthal, publiée dès 1483, et récemment encore en un splendide facsimile, ou bien encore la Chronique de Pierre Eschenloer, publiée par H. Margraff dans les Scriptores rerum Silesiacarum. Si, au contraire, il voulait faire rentrer dans son cadre tous les travaux anciens ou modernes sur Huss et ses disciples, ce ne sont pas dix ou douze titres, mais plusieurs centaines qui manquent et qui pourraient y figurer à meilleur droit que les études de George Sand. Ce qui nous frappe surtout, c'est de

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