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D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 1

4 Janvier

1879

Sommaire: A nos lecteurs.

2. La

1. COEN, L'abdication de Dioclétien. grande Chronique de Mathieu Paris, p. p. LUARD. 3. Les Amours d'Olivier de Magny, p. p. COURBET. 4. HAGEN, Histoire de la question d'Orient depuis la paix de Routschouk-Kaînardji jusqu'au 24 avril 1877. Académie des Inscriptions. Chronique.

A NOS LECTEURS

Nous sommes heureux quand nous pouvons, en commençant une nouvelle année, annoncer à nos lecteurs quelque perfectionnement apporté dans l'œuvre qui nous est commune avec eux. Grâce à leur concours, nous avons pu, l'année dernière, inaugurer cette bibliographie mensuelle que nous nous bornions, dans notre premier numéro, à souhaiter, et qui a été généralement très-bien accueillie. Nous pourrons réaliser cette année un progrès plus intéressant et une innovation qui, pensons-nous, rencontrera une approbation générale. Nous donnerons dans le premier numéro de chaque mois, à dater de celui-ci, une Chronique des faits qui intéressent l'érudition, l'archéologie, la critique littéraire et le haut enseignement. Cette chronique apportera bien réellement à la Revue critique cet « élément de vie, de nouveauté, d'actualité » qui, disions-nous l'année dernière, lui faisait jusqu'ici défaut. Elle sera rédigée par notre secrétaire à l'aide des journaux savants de l'Europe entière et des notices particulières qu'on voudra bien lui fournir. Nous serons très-reconnaissants à tous nos lecteurs français ou étrangers qui, en nous adressant des renseignements sur les faits qui leur sembleront utiles à faire connaître, nous mettront à même d'être aussi exacts et complets que possible. Nous ne pouvons prendre l'engagement d'imprimer tout ce qui nous sera adressé ; nous resterons juges de l'intérêt et de l'opportunité des communications qui nous seront faites, mais nous verrons toujours dans celles que nous recevrons des marques d'une sympathie à laquelle nous serons fort sensibles. Le premier spécimen de la Chronique permettra de voir sur quel plan nous entendons la rédiger, et en donnera, nous l'espérons, une idée favorable. Si nous avons pu introduire dans la Revue ce nouvel élément d'intérêt, nous tenons à dire que nous le devons à l'appui éclairé de M. le Ministre de l'Instruction publique, qui a bien voulu abonner à la Revue critique tous les lycées de France.

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Cette mesure libérale aura encore l'avantage de nous mettre avec l'Université dans un rapport plus intime et plus sympathique. Nous voudrions accroître et resserrer des liens si naturels. Les livres destinés à l'enseignement secondaire n'ont pas jusqu'à présent occupé dans la Revue la place à laquelle ils avaient droit. Pour qu'ils soient à l'avenir régulièrement annoncés et examinés avec soin, nous faisons appel aux membres de l'Université. Mieux que personne, ils connaissent les besoins spéciaux auxquels ces publications doivent répondre, et, s'ils veulent en même temps s'inspirer de l'esprit d'impartialité et de juste sévérité que la Revue s'est toujours proposé pour règle, ils l'enrichiront d'une partie pédagogi– que qui ne sera pas la moins utile. Il est pénible de penser qu'un grand corps comme l'Université de France n'a pas, à l'heure qu'il est, un journal dans lequel elle se reconnaisse pour suppléer à cette lacune qui, nous l'espérons, sera tôt ou tard comblée, la Revue sera heureuse d'offrir à l'occasion l'hospitalité à nos professeurs. Des questions générales relatives à l'enseignement pourront trouver place, soit à propos de livres publiés, soit sous forme de Variétés.

La Revue critique vient de terminer la treizième année de son existence. Beaucoup de ceux qui l'ont vue naître n'ont peut-être pas cru qu'elle aurait une si longue vie. Il s'est trouvé que les conditions étaient plus favorables qu'on ne l'espérait. Des sympathies se sont déclarées qui, à l'origine, étaient hésitantes. Bien des préventions se sont dissipées. Il faut ajouter que la Revue s'est elle-même quelque peu humanisée, grâce surtout à l'influence qu'elle a exercée et qui a fait que l'esprit de sa rédaction a commencé à pénétrer davantage dans le monde de l'érudition française. Puisse-t-il arriver un jour, où nous n'ayons que des éloges à donner aux livres qui paraîtront dans le domaine de nos études! Ce serait la meilleure preuve de l'utilité de nos critiques.

La Revue ne croit pas se tromper en prenant pour elle, au moins en partie, les paroles d'un savant illustre, qui entonne son Nunc dimittis, en présence de l'activité régnant aujourd'hui dans toutes les branches des sciences philologiques. Commençons par dire que cette activité n'est pas encore telle, qu'elle puisse se passer du concours et de l'exemple de son principal initiateur. Nous accueillons avec reconnaissance les deux conseils que M. Renan joint à son éloge : l'un, c'est ne pas donner à la science un air hautain et farouche. Pourvu qu'on ne veuille pas la rendre trop aimable et qu'on ne mette pas la politesse au-dessus de la vérité, nous pensons, en effet, que le public français a besoin de certains ménagements, et qu'il ne faut pas les lui refuser s'ils servent à la diffusion des idées et des méthodes scientifiques. Nous avons déjà dit que la Revue

avait fait des progrès dans ce sens; en tout cas, il nous semble que la sévérité strictement bornée à des cas particuliers a quelque chose de moins blessant et de plus utile que le dédain général dont on trouve l'empreinte dans les premiers écrits de notre amical Mentor. L'autre conseil, c'est de n'être pas ingrats envers les grands savants du' passé. Mais personne n'est moins en danger de tomber dans le défaut d'ingratitude que ceux qui prennent la peine, comme nous recommandons tous les jours de le faire, d'étudier l'histoire et les progrès insensibles de la science; et, s'il faut dire notre pensée tout entière, à mesure que les livres vulgarisent les connaissances, que les bonnes méthodes arment et multiplient les travail. leurs, ceux qui, sans maîtres, sans collaborateurs, sans encouragements, seuls au milieu d'un public indifférent, ont créé les études, jeté les idées, ouvert les horizons, grandissent à nos yeux et nous paraissent plus dignes d'admiration et de respect.

La Revue critique a été cruellement épouvée cette année. En en com→ mençant une nouvelle, nous sentons plus profondément que jamais le vide causé par la mort de Camille de la Berge. Nous ne pouvons le remplacer, mais nous demanderons souvent des conseils au souvenir que nous a laissé cette critique à la fois si nette et si bienveillante, cet esprit si impartial et si droit.

1.

L'Abdicazione di Diocleziano. Studio Storico di Achille COEN. Livorno.

Fr. Vigo.

Dans une brochure de 50 pages, dédiée à M. Comparetti, un jeune savant italien a essayé de résoudre un des problèmes les plus obscurs de l'histoire romaine; il s'est demandé quels motifs avaient pu déterminer l'abdication de Dioclétien.

Quand on apprit que, le 1er mai de l'an 305, les deux Augustes, Dioclétien et Maximien, venaient de résigner le pouvoir, la surprise dut être grande dans l'empire. Rien ne semblait expliquer cette brusque résolution. L'empire, en général, était tranquille; les ennemis du dehors avaient été vaincus; à l'intérieur, on jouissait d'un calme que, depuis longtemps, on ne connaissait pas. Dioclétien venait de célébrer en grande pompe ses Vicennalia : il y avait un siècle et demi qu'on n'avait vu un règne aussi long. Pourquoi donc l'empereur et son collègue choisissaientils ce moment pour rentrer dans la vie privée? Eusèbe, bien informé d'ordinaire, semble être l'interprète d'un grand nombre de ses contemporains quand il dit qu'il n'en sait pas le motif. En l'absence de raisons certaines, on en cherche naturellement d'imaginaires. Aussi

Aurelius Victor avoue-t-il que, les opinions étant très-diverses à ce sujet, il est difficile de savoir la vérité.

Ce qui semble d'abord le plus vraisemblable, ce que les historiens ont depuis le plus souvent répété, c'est que Dioclétien se sentait atteint par l'âge, et qu'il voulait laisser l'administration de l'Etat à des princes plus jeunes et plus vigoureux. Il est probable que ce fut la raison officielle qui fut donnée soit dans le discours adressé par l'empereur à ses soldats, soit dans les rescrits impériaux où l'on annonçait ce grand acte aux peuples; et elle était en partie vraie. On ne peut guère douter que Dioclétien, avant d'abdiquer l'empire, n'ait été atteint d'une très-grave maladie. L'empereur Julien, qui devait savoir la vérité, le laisse entendre, et Lactance donne des détails si précis qu'il est difficile de croire qu'il les ait inventés; mais la maladie ne dut être qu'une occasion, et plusieurs historiens affirment que l'empereur s'était décidé bien avant d'être malade. Ils disent que s'étant rencontré à Rome avec Maximien, il lui fit promettre d'abdiquer en même temps que lui. Maximien paraît s'y être résigné de très-mauvaise grâce, si bien que Dioclétien, qui craignait de le voir manquer de parole, lui fit jurer dans le temple de Jupiter Capitolin de tenir sa promesse. Ce ne furent donc pas des motifs uniquement personnels, le besoin de repos, le désir de se refaire après une longue maladie, le sentiment de son impuissance et de son affaiblissement, qui décidèrent seuls Dioclétien, puisqu'il entraîna avec lui son collègue qui était alors plein de force et qui n'éprouvait aucun dégoût du pouvoir. Il devait entrer dans sa résolution des questions politiques, et il faut chercher à sa conduite une autre explication.

On en trouve une qui paraît d'abord assez plausible dans le livre intitulé De mortibus persecutorum, qu'on attribue d'ordinaire à Lactance. Il y est raconté que Dioclétien devint tellement malade à Nicomédie qu'on fit des prières publiques pour sa santé, et que même le bruit se répandit qu'il était mort. Le mal avait atteint sa raison, « en sorte qu'à certaines heures, il perdait l'esprit et, à d'autres, il retrouvait son bon sens. » Lorsqu'il put reparaître en public, il était tellement changé qu'on avait peine à le reconnaître. A ce moment arriva le César Galérius, qui venait d'arracher à Maximien son abdication et qui voulait contraindre Dioclétien à l'imiter. Là, l'historien imagine entre les deux princes un long dialogue et suppose qu'à la suite de cet entretien où Galérius avait usé tour à tour de flatteries et de menaces, le vieil empereur consentit à faire ce qu'on lui demandait. Ce récit, qui, depuis Tillemont, a été adopté par tous les historiens de l'Eglise, contient quelques invraisemblances. Le dialogue est une œuvre de pure rhétorique qui manque absolument d'authenticité. « Voilà, dit Voltaire, une étrange conversation entre les deux maîtres du monde ! L'avocat Lactance était-il en tiers? » De plus, le récit de Lactance est contredit par tous les autres historiens qui s'accordent à dire que l'empereur abdiqua de son plein gré, et par la conduite même du prince qui refusa dans la suite avec obstination de reprendre le

pouvoir quand on le lui offrait. On voit trop, enfin, que Lactance a un parti pris, et qu'il tient à humilier un ennemi du christianisme. Il a reproduit la version chrétienne qu'on ne peut pas accuser d'être un mensonge prémédité, mais qui est au moins une interprétation malveillante des faits véritables. Comme la maladie empêchait Dioclétien de sortir de son palais, on raconta, et peut-être on crut, qu'on l'y tenait enfermé parce qu'il avait perdu l'esprit. Quand il eut pris la résolution d'abdiquer l'empire, il dut faire venir Galérius pour la lui révéler; comme le public ne la connut qu'à la suite des entretiens qu'ils avaient eus ensemble, on pouvait supposer que Galérius l'avait contraint à faire ce qu'en réalité il avait résolu tout seul. C'était la haine qui suggérait aux ennemis de Dioclétien cette façon d'expliquer les événements, et ils trouvaient ainsi moyen de tourner à sa honte les faits mêmes dont ses amis lui faisaient le plus d'honneur. La vérité n'est donc pas dans le récit de Lactance.

Je ne rappelle que pour mémoire l'opinion de Burckhardt, à laquelle il me semble que M. Coen, tout en la combattant, accorde trop d'importance. Il imagine que, dans la constitution de Dioclétien, l'empire ne devait être qu'une charge temporaire, à laquelle après vingt ans d'exercice, le prince devait renoncer. Voilà, il faut l'avouer, une disposition fort étrange. M. C. remarque qu'aucun historien n'en a fait mention et qu'on ne la retrouve dans aucun des monuments législatifs de cette époque. Elle ne pouvait pourtant pas être sous-entendue. Il fallait, au contraire, la répéter et y insister, si l'on voulait qu'elle eût quelque chance d'étre respectée. Dioclétien n'était pas assez naïf pour penser qu'il serait aisé d'obtenir d'un prince qu'il quittât l'empire après vingt ans de règne, et personne ne croira qu'un politique aussi avisé ait pu imaginer une conception aussi bizarre.

Ces diverses hypothèses une fois écartées, et le terrain, pour ainsi dire, déblayé devant nous, voyons comment M. C. remplace ces suppositions: qui ne le contentent pas, et quelle est l'explication qu'à son tour il pro

pose.

Il fait remarquer d'abord qu'il n'y eut pas, pendant toute la durée de l'empire, de règle fixe pour la transmission du pouvoir. C'est une singulière lacune dans une législation si bien faite, mais il était difficile qu'elle fût comblée. L'empire n'eut jamais le courage d'affirmer hautement son principe et fut toujours une monarchie déguisée. Il tendait à l'hérédité sans oser le dire; au contraire, les Romains, à qui la royauté déplaisait, préféraient l'élection, et, selon le mot que Tacite prête à Galba, ils croyaient qu'elle peut tenir lieu de la liberté, loco libertatis erit quod eligi cœpimus. Ainsi ce régime qui s'était donné pour mission de pacifier le monde manqua de ce qui est le gage de la sécurité publique, de ce qui assure l'avenir : il ne régla jamais d'une manière certaine la succession au trône, et oscilla sans cesse entre l'élection et l'hérédité. De là des maux incalculables pour l'empire. Dioclétien voulut y mettre un terme; maist telle était la force des préjugés et de l'habitude qu'il ne revint pas fran

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