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dont la majorité, à cette époque, appartenait à la noblesse ou faisait cause commune avec elle; c'était menacer ouvertement tous les droits nés de la Révolution. La France entière le comprenait aussi bien que les promoteurs mêmes de la loi; aussi l'excitation était-elle universelle et l'anxiété profonde. La discussion se prolongea durant six semaines, au milieu de scènes orageuses, qui tantôt transportaient l'irritation du palais Bourbon dans la rue, tantôt la ramenaient de la rue dans l'enceinte parlementaire.

Chaque jour, une immense affluence se portait vers l'assemblée, et comme les tribunes publiques ne pouvaient recevoir qu'un très petit nombre d'auditeurs, la foule stationnait aux abords du palais, recueillant avidement toutes les nouvelles qui venaient de l'intérieur. Parfois, lorsque passait un député, on le saluait par un vivat, par le cri de vive la charte! Aucun désordre n'eut lieu, jusqu'au jour où des gardes du corps et des officiers de la garde royale, vêtus en bourgeois, se mirent à assaillir à coups de cannes les citoyens qui criaient vive la charte! Ceux-ci résistèrent; la force armée intervint, non pour protéger les victimes, mais pour donner aide aux agresseurs; des charges de cavalerie furent lancées sur la foule désarmée, des coups de feu furent tirés sur des hommes inoffensifs; un étudiant en droit, le jeune Lallemand, fut tué. Les écoles suivirent en masse ses funérailles, une souscription fut ou verte pour lui élever un monument funéraire, et, pendant plusieurs années, la jeunesse des écoles se rendit en pèlerinage à cette tombe, que la gé

nération actuelle ne connaît plus. Les scènes de violence se continuèrent aussi longtemps que les débats et faillirent amener une véritable insurrection. Des députés eux-mêmes furent insultés et frappés par les militaires travestis, sans que la majorité prît souci de faire respecter l'inviolabilité de l'assemblée. La loi électorale fut enfin votée par cent cinquante-quatre voix contre quatre-vingt-quinze (12 juin 1820).

L'année 1820 devait finir sous des émotions diverses. La découverte d'une conspiration militaire en vue de rétablir Napoléon II amena devant la Cour des pairs plusieurs officiers et sous-officiers, qui furent condamnés à l'emprisonnement. Le 29 septembre, la naissance d'un fils de la duchesse de Berry, auquel fut donné le titre de duc de Bordeaux, rassura les royalistes sur l'avenir de la dynastie. Les élections, faites sous l'influence de la loi nouvelle, donnèrent une grande majorité au gouvernement. Le duc de Richelieu profita de ces résultats pour se retirer. M. Lainé, M. de Villèle, M. de Corbière entrèrent dans le cabinet avec le titre de ministres d'Etat et membres du conseil privé ; c'étaient trois des chefs de l'ancienne minorité ultraroyaliste. La contre-révolution triomphait. Le roi, en ouvrant la session, montra qu'elle entendait poursuivre résolûment la guerre il exprima l'espérance que cette session «< achèverait l'ouvrage si heureusement commencé par la précédente. >>

La France n'avait pas eu seule, en 1820, le privilége des commotions; l'Europe entière était

ébranlée de mouvements révolutionnaires. Les promesses libérales faites par les souverains en 1813 entretenaient dans l'Allemagne une surexcitation qui, l'année précédente, avait amené le meurtre de Kotzebue, par Frédéric Sand, étu- · diant d'léna, membre de la Tugenbund, association secrète, qui comprenait presque toute la jeunesse allemande. L'Angleterre noyait dans le sang la révolte irlandaise et donnait le scandaleux spectacle du procès de la reine Caroline. L'Espagne forçait Ferdinand VII à jurer la constitution de 1812; Naples contraignait le roi à remettre le gouvernement au duc de Calabre, et celui-ci à proclamer la constitution. En Portugal, un mouvement analogue établissait le régime constitutionnel. Fait remarquable, toutes ces révolutions étaient provoquées et accomplies par la force militaire.

L'année 1821 réalisa contre la liberté toutes les menaces de l'année 1820. Le nouveau ministère présenta des lois destinées à frapper l'opinion libérale et à satisfaire aux passions de la majorité lois sur les circonscriptions électorales, réduisant le nombre des colléges d'arrondissement où s'exerçait trop encore l'influence des libéraux; loi sur les grains, pour favoriser les intérêts des grands propriétaires; loi sur les pensions ecclésiastiques, ayant pour objet d'augmenter le nombre des diocèses, le traitement des curés et vicaires, etc,; loi sur la presse, prolongeant la durée de la censure; la majorité fit au ministre la gracieuseté d'ajouter que la censure s'étendrait aux journaux littéraires.

Tandis que la contre-révolution procédait en France par ce qu'on appelle les voies légales, à l'extérieur, elle agissait par la force brutale. Le congrès de Carlsbad prononce la suppression des sociétés secrètes et l'établissement de la censure dans toute l'Allemagne. A la suite des congrès de Troppau et de Laybach, une armée autrichienne envahit le royaume de Naples et replace sur le trône le roi Ferdinand, qui célèbre sa réintégration par des arrestations, des condamnations et des supplices.

Le Piémont s'était soulevé, trop tardivement, pour soutenir la révolution napolitaine; le roi Victor-Amédée avait abdiqué au profit de son frère Charles-Félix, et, en l'absence de celui-ci, avait nommé régent le prince de Savoie-Carignan, que l'histoire connaît sous le nom de Charles-Albert, et qui était regardé comme dévoué aux idées libérales. Trompant toutes les espérances de ses amis, le régent appela les Autrichiens; la révolution piémontaise fut à son tour étouffée dans le sang. La Grèce s'était soulevée contre les Turcs et avait imploré le secours de la Russie; la Russie l'abandonna aux furieuses vengeances des Turcs.

Le 5 mai, Napoléon mourut à Sainte-Hélène. Dans l'étroite captivité où le gardait l'Angleterre, l'ancien empereur n'était plus guère redoutable pour les monarques européens; sa mort les affranchit pourtant d'une certaine inquiétude. La nouvelle en causa dans toute la France un véritable sentiment de douleur : que les vieux soldats qu'il avait si souvent conduits à la victoire et promenés en triomphateurs de Paris à Rome, au

Caire, à Madrid, à Vienne, à Berlin, à Moscou, regrettassent leur glorieux capitaine, c'était chose naturelle et légitime; mais il était plus étonnant que les défenseurs de la liberté donnassent les mêmes regrets au souverain qui avait si peu ménagé la liberté. C'était l'effet d'une grande maladresse des Bourbons. Après 1814, mais surtout après 1815, les Bourbons et les royalistes, dans leur haine furieuse contre Napoléon, poursuivirent avec acharnement tous les souvenirs de l'Empire et, par une étrange confusion, proscrivirent comme bonapartistes tous les hommes qui tenaient à la Révolution. L'opinion publique, de son côté, prit la défense des hommes et des choses que haïssaient les royalistes, confondant à son tour dans une commune sympathie et la gloire qui venait de l'Empire et la liberté qui venait de la Révolution. La dénomination que les royalistes prodiguaient comme une injure fut acceptée comme un titre d'honneur, et bientôt le nom de Napoléon devint presque synonyme de libérateur. Des hommes ont été condamnés, exécutés comme bonapartistes qui ne songeaient point à relever l'Empire et sous le fer de l'échafaud criaient Vive la République! Au nom des Bourbons revenus à la suite du triomphe des étrangers on opposait celui de Napoléon renversé par les armes étrangères; à l'humble contenance des Bourbons devant les monarques européens, on opposait les victoires de l'empereur sur l'Autriche, la Prusse, la Russie, et, dans l'animation de la lutte, on oubliait que ce n'était point à la liberté qu'avaient profité les humiliations de l'Europe.

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