Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

ment pontifical, sous Pie VI, n'avait pas vu à sa disposition assez de récompenses pour augmenter la gloire et le bonheur d'Ennius Visconti, qui ne pensait pas certainement encore à quitter sa patrie. Il peut donc exister des aveuglements presque universels dans les gouvernements, comme il existe souvent un travers d'esprit constant dans un individu isolé. Pourquoi ces erreurs d'une autorité nouvelle, mal instruite et révolutionnaire, furent-elles embrassées même par d'honorables Italiens? Mais l'homme est un malade qui veut à tout instant changer sa position, et qui conseille aussi ce travers à d'autres, quoiqu'on lui ait dit souvent qu'en la changeant brusquement, il ne fait que changer ses douleurs.

ORGANISATION DÉFINITIVE DU ROYAUME D'ITALIE.

GÊNES, LA TOSCANE, PARME ET ROME RÉUNIES A L'EMPIRE. LE PAPE PIE VII ENLEVÉ DE ROME.

Reprenons la suite des événements politiques. L'empereur Napoléon improvise un royaume composé des débris de Venise, de l'état de Milan, d'une partie des provinces de Rome, de Parme, et de la principauté de Modène. Saint-Marin, imperceptible au haut de sa montagne, reste là comme une fraction négligée dans ce grand marché d'ames qui passent sous le joug. Il réunit Turin, Gênes, Parme, Florence, et ce qui reste de Rome, à son empire. Il laisse un lieutenant à Naples, sous le titre de roi. Maintenant il faut se garder d'altérer les faits hautement proclamés par l'histoire.

De grands établissements sont ordonnés par celui que plusieurs personnes nommaient dans leur admiration le nouveau Théodoric : convaincu désormais lui-même qu'il y a en Italie des talents, des vertus, des génies élevés, il la gouverne en ce qui le concerne directement, avec circonspection. Presque toutes les sommes qui proviennent des impôts de Rome sont consacrées à des travaux utiles pour cette capitale. Ce n'est plus l'ancienne avidité espagnole à Milan : cette ville est accablée de bienfaits. On jette à travers Venise tout le bien que l'on

peut faire à cette veuve si affligée; inais aucune félicitation volontaire et franche ne vient annoncer qu'elle a fait trève à sa douleur. Malgré tant de soins et de bonne volonté judicieuse, le fléau de la guerre qui secouait ses torches pour détruire les dynasties régnantes, éloigne les étrangers, interrompt le commerce, et l'Italie est livrée à une sorte de désespoir. Après avoir envoyé au pape de longues protestations d'attachement et de reconnaissance, le vainqueur, sous prétexte de lier son armée de Milan à son armée de Naples, avait occupé les principales places de l'État du saint-père et fait nourrir ses troupes aux dépens du trésor pontifical. Naturellement le gouvernement romain adressait des réclamations; elles ne furent pas écoutées. On exigeait de lui qu'il entrât dans un système fédératif perpétuel contre tous les ennemis de l'empereur. Le pape Pie VI s'était vu dépouillé des légations pour avoir pris part à la guerre: Napoléon, alors général, avait positivement déclaré que cette spoliation était un châtiment des dispositions belliqueuses de Rome. Ici Rome refusait d'entrer dans les chances des combats. Elle est donc, suivant ce que pensait autrefois Bonaparte vainqueur, elle est donc dans la voie juste et raisonnable. Mais c'était le lion qui devenait le juge, et il prononça ainsi : « Je t'ai punie autrefois parce que tu

as fait la guerre, je te punis à présent parce que tu ne la fais pas.. D'après la logique du lion, le pape perdant une à une toutes ses villes ne cessait d'intercéder auprès du maître, pour le ramener à des idées de conciliation. Inutiles efforts! Les plaintes du souverain détrôné, et comme caché dans son palais du Quirinal, étaient importunes. Le général Miollis donne ordre au général Radet d'enlever le pape.

La résistance morale qu'opposa le pontife fut sublime, mais comment répondre à des soldats qui brisent les portes à coups de hache? Pie VII fut entraîné hors de Rome, comme le pontife Martin (voyez p. 42), et il partit en bé

[blocks in formation]

nova,

AVEUX ET CONFIDENFAIT LE DÉNOMBREMENT

Qui donc fera connaître ces désastres à Napoléon, trompé par ses flatteurs et par ses ministres? Ce sera l'homme le plus modeste, le moins propre aux habiletés des négociations. Alexandre, le héros macédonien, avait fait faire une seule fois son portrait, et il avait ordonné que ce même portrait fût copié sans changement sur toutes ses monnaies peut-être, dans la même idée, Bonaparte avait appelé auprès de lui Camomentanément sujet du pape, et il avait ordonné à cet artiste de tracer l'image du héros italique, qui devait exciter un si puissant intérêt. L'empereur appelle encore plus tard Canova, devenu son sujet, pour l'engager à se fixer à Paris. Non moins généreux que Clément VII avec MichelAnge, il lui offre les plus hautes récompenses, une place aù sénat conservateur, l'intendance universelle des arts: il lui propose des appartements au Louvre, qu'il faisait restaurer pour y loger des rois. Ce ne sera pas sortir de l'Italie que de communiquer à nos lecteurs ce qui se passa dans les entretiens de ces deux grands hommes. Napoléon dit là plus de secrets qu'on n'en trouve dans tous ses actes politiques publiés jusqu'ici. Nous honorerons singulièrement le Vénitien Canova, qui, dans ces entretiens, vengea autant qu'il était en lui, l'affront fait à sa patrie, qui arracha à César l'aveu que lui-même il était Italien, qu'ainsi il ne devait pas aggraver les maux qui, au milieu de tant de gloire, de sacrifices et de dépenses royales, désolaient encore véritablement l'Italie, cette mère des, ancêtres du suprême dominateur.

Le 12 octobre 1810, Canova fut présenté à Napoléon par le maréchal

Duroc. L'empereur se trouvait dans les premières ferveurs d'attachement pour l'archiduchesse Marie-Louise, qu'il avait épousée au mois d'avril, et qui était enceinte. Napoléon déjeunait avec l'impératrice. Après les premiers actes de respect, Canova remercia l'empereur de ce qu'il l'avait fait venir à Paris pour conférer avec lui sur les beaux-arts; il lui dit qu'il était prêt à satisfaire S. M. afin de pouvoir retourner à Rome et reprendre ses travaux.

«Mais, dit l'empereur, Paris est la capitale; il faut que vous demeuriez ici, et vous ferez bien. Vous êtes, Sire, le maître de ma vie; mais s'il plaît à l'empereur qu'elle soit employée et dépensée à son service, il faut qu'il m'accorde de retourner à Rome, quand j'aurai terminé les travaux pour lesquels je suis venu. On m'a parlé de faire le portrait de l'impératrice, je la représenterai sous la figure de la Concorde. >>

L'empereur sourit avec bienveillance, et répliqua : « Ceci est le centre; ic sont tous les chefs-d'œuvre antiques; il ne manque que l'Hercule Farnèse, mais nous l'aurons aussi. — Que V. M., reprit Canova, laisse au moins quelque chose à l'Italie. Ces monuments antiques forment collection et chaîne avec une infinité d'autres qui ne se peuvent transporter, ni de Rome, ni de Naples. L'Italie pour réparer ses pertes, fera des fouilles; moi, je veux ordonner des fouilles à Rome : ditesmoi, le pape a-t-il beaucoup dépensé dans les fouilles? » Canova répondit que le pape était peu riche, mais que cependant, avec un amour infini pour les arts et une sage intelligence, il était parvenu à former un nouveau musée. «< Dites-moi, la famille Borghèse a-t-elle dépensé de grandes sommes pour des fouilles ? - Elle n'y a consacré qu'une somme modérée; le prince fouillait de compte à demi avec d'autres, et ensuite il rachetait la part de son associé. » A cette occasion Canova s'attacha à prouver combien le peuple romain avait un droit sacré sur les monuments découverts dans les entrailles des fondations

-

de Rome; que c'était un produit intrin sèquement uni à ce sol, tellement que ni les familles nobles, ni le souverain lui-même ne pouvaient vendre et envoyer au dehors cet héritage du peuple-roi, cette récompense donnée par la victoire à leurs antiques pères.

[ocr errors]

Savez-vous, ajouta Napoléon, que j'ai payé quatorze millions les statues Borghese? Combien le pape dépense-t-il pour les arts? peut-être cent mille écus romains! -Non, pas tant, parce qu'il est trop peu riche. Ainsi avec moins on peut obtenir de grands résultats ? Certainement, Sire. >> On parla ensuite de la statue colossale de l'empereur, et il regretta de savoir qu'elle était nue. « Sire, Dieu lui-même n'aurait pas su faire une chose belle, s'il avait voulu représenter V. M. habillée avec des vêtements courts et ces bottes à la française nous, comme tous les autres beaux-arts, nous avons notre langage sublime; le langage du statuaire est le nu, avec, quelquefois, une sorte de draperie particulière à notre art. Mais pourquoi ne faites-vous pas nue l'autre statue colossale qui me représente à cheval? Il faut que celle-là ait le costume héroïque : il ne convient pas qu'elle soit nue, parce qu'elle vous représente commandant à cheval à toute l'armée. Telle est l'habitude des anciens et des modernes. Vos vieux rois de France, Sire, et votre Joseph II, à Vienne, Madame, sont ainsi figurés à cheval.» La citation de ces vieux rois de France, dont Napoléon se trouvait en ce moment le successeur, et celle de Joseph II, grand-oncle de l'impératrice, firent encore sourire l'empereur.

« Vous avez vu la statue du général Desaix en bronze; elle me semble mal faite avec cette ceinture ridicule. Canova allait expliquer les raisons de l'artiste français; l'empereur n'attendit pas la réponse, et il ajouta vivement : « Fondrez-vous ma statue en pied?— Sire, elle est déja fondue. » Napoléon fit un signe de satisfaction, et continua ainsi : Je veux aller à Rome. Ce pays mérite d'être vu par V. M.; votre imagination s'échauffera en considérant le Capitole, le Forum

[ocr errors]

de Trajan, la voie Sacrée, les colonnes, les arcs, les aqueducs, les murailles d'enceinte, ces collines historiques, toutes les magnificences romaines, la voie Appienne qui s'étend jusqu'à Brindes et toute bordée de tombeaux, les autres voies consulaires, Pompeï (voy. pl. 89) (*)..... Cela est-il surprenant? les Romains étaient les maîtres du monde ! - Ah! ce ne fut pas seulement l'effet de la puissance, ce fut l'effet du génie italien et de notre amour pour les choses grandes. Voyez seulement, Sire, ce qu'ont fait les Florentins avec un si petit état, et ce que les Vénitiens seuls ont construit aussi dans leurs lagunes. Les Florentins eurent l'idée d'élever leur dôme merveilleux (voy. pl. 23) avec un simple accroissement d'un sol par livre sur l'art de la laine, et ce supplément seul suffit pour donner les moyens d'achever une fabrique que ne pourrait peutêtre entreprendre aucune des puissances d'aujourd'hui. Ils firent exécuter en bronze, par Ghiberti, les portes

(*) La planche 89 offre une vue d'une des entrées de Pompeï, appelée la Voie des Tombeaux. La découverte de cette ville si intéressante est due au hasard. Quelques paysans, en fouillant pour planter des vignes, rencontrèrent un petit priape et un trépied près du fleuve Sarno. En 1750, le roi Charles de Bourbon ordonna des fouilles régulières, et la ville de Pompeï fut retrouvée.

Elle avait été engloutie sous une pluie volcanique lancée par le Vésuve dans son éruption de l'an 79. Il y eut ensuite des éruptions du même volcan dans les années 203, sous Septime-Sévère, 472, sous Olybrius, 512, sous Théodoric, 685, sous le pontificat de Jean VII, 993, sous Jean XVI, 1631, sous Urbain VIII. Avant cette éruption, l'entonnoir du volcan était rempli d'arbres et de verdure. Au fond, il y avait une plaine et une espèce de paturage. En 1749, on a recom

mencé à descendre dans le cratère. L'éruption de 1751 dura trois mois; il y en a eu beaucoup d'autres depuis, qui ont produit plus ou moins de ravages.

Pendant qu'il commandait à Naples, le roi Joachim fit déblayer avec beaucoup d'intelligence et de soins, les murailles antiques qui entouraient la ville de Pompeï, dont on connaît aujourd'hui la grandeur.

du baptistère de Saint-Jean (voy. pl. 23, à gauche) pour le prix de quarante mille sequins, qui, en ce moment, vaudraient quelques millions de francs. Remarquez combien les Florentins étaient industrieux ; y a-t-il eu quelque part un défrichement plus étendu que celui de Vallombrose (voy. pl. 90) (*)? et avec cela les Florentins étaient magnanimes. Et les Vénitiens, quel noble usage ne firent-ils pas des trésors que leur procura le commerce du Levant (**) ! » Canova prit alors congé de l'empereur pour quelques jours, ne pouvant se cacher à lui-même qu'il avait fait une vive impression sur le dominateur de l'Italie.

Le 15 octobre, l'artiste commença à modeler les traits de Marie-Louise. L'empereur et son épouse étaient encore seuls. La conversation ne tarda

[ocr errors]

pas à s'engager. Dites-moi, monsieur Canova, comment est l'air de Rome? était-il mauvais et malsain dans les temps antiques? Sire, il en était ainsi, je crois, d'après les histoires les : anciens prenaient des précautions avec ces forêts qu'ils appelaient sacrées, et puis une immense population couvrait toute la ville et ses environs. Je me souviens d'avoir lu dans Tacite, à propos de l'arrivée des troupes de Vitellius, que beaucoup de soldats tombèrent malades pour avoir dormi à l'air sur le Vatican. L'empereur sonna et ordonna qu'on apportât Tacite; mais le souverain trop pétulant, et le sculpteur trop préoccupé d'un autre travail, cherchèrent mal le passage. (Canova le trouva en le cherchant chez lui avec plus

(*) Vallombrose a été chantée par l'Arioste, Milton et M. de Lamartine. Dans cette

abbaye, fondée près de Florence, par saint Gualbert, sous la règle primitive de Saint-Benoit, on voit un des plus beaux tableaux du Pérugin. Plus loin, d'une montagne voisine des Camaldules, on distingue, dans les temps sereins, la Méditerranée et l'Adriatique.

(**) Dans le Tableau du commerce antérieurement à la découverte de l'Amérique, par M. Pardessus, mon savant confrère, on trouve des recherches exactes et pleines d'intérêt sur le commerce des Vénitiens.

de calme, et l'envoya à l'empereur (*)). Canova était un homme très-instruit et très-franc, qui ne pouvait pas avoir cité à faux. L'empereur venait d'entendre parler d'une armée, il se vit sur son terrain, et montra sa profonde expérience. «En attendant l'autorité de Tacite, la maladie des soldats prouve peu les troupes, transportées rapidement d'un climat à un autre, tombent malades la première année, mais elles se rétablissent l'année suivante. Rome a d'ailleurs, reprit Canova, d'autres douleurs : cette capitale est désolée depuis l'absence du pape; sans votre puissance ce pays ne peut subsister: il a perdu le souverain, quarante cardinaux, les ministres étrangers, plus de deux cents prélats, une foule d'ecclésiastiques. L'herbe va pousser sa graine dans les rues. Votre gloire me permet de vous parler librement, et je vous supplie de réparer ces malheurs. L'or ruisselait à Rome: aujourd'hui il n'en coule plus. - C'était bien peu de chose que cet or dans les derniers temps: semez du coton, vous y trouverez de l'avantage.-Presque aucun: votre frère Lucien a essayé ; tout manque à Rome, excepté votre protection. >> Napoléon regarda Canova avec douceur, et il ajouta : « Nous ferons Rome capitale de l'Italie, et nous y joindrons Naples. Qu'en dites-vous? serez-vous content?

Les arts pourraient ramener la prospérité; mais, à l'exception des travaux ordonnés par V. M. et par la famille impériale, personne ne fait de commandes: la religion, qui favorise les arts, va toujours s'affaiblissant. Chez les Egyptiens, chez les Grecs et les Romains, la religion seule a soutenu les arts. Les sommes immenses

dépensées pour construire le Parthénon, pour élever la statue de Jupiter à Olympie et celle de Minerve à Athènes; leurs propres images que les vainqueurs, dans les jeux, consacraient aux divinités, je n'excepte pas même les

(*) Voici ce passage : « Ne salutis quidem cura; infamibus Vaticani locis magna pars tetendit, unde crebræ in vulgus mortes, etc.» Tac., Hist. lib. 11, 93.

images des courtisanes, tout cela était dû à la religion. Les Romains n'ont pas fait autrement leurs ouvrages portent le sceau de la religion, qui les rend plus respectables et plus augustes. Cette salutaire influence de la religion sur les arts les a encore sauvés en partie des ravages des Barbares (voy. page 7, les églises de Saint-Pierre et de Saint-Paul déclarées des asiles). Parlerai-je de l'église Saint-Marc, à Venise (voy. pl. 21 et 22), du dôme de Pise (voy. pl. 35), du dôme d'Orviète, du Campo-Santo de Pise (voy. pl. 36), et de tant d'autres merveilles remplies des marbres les plus précieux? Toutes les religions sont les bienfaitrices des arts; mais celle qui est plus particulièrement et plus magnifiquement leur protectrice est la vraie religion, notre religion Catholique Romaine. Les protestants, Sire, se contentent d'une simple chapelle et d'une croix, et ne donnent pas occasion de fabriquer de beaux objets d'art. Les édifices qu'ils possèdent ont été fabriqués par les autres. » L'empereur, s'adressant à Marie-Louise, et l'interpellant, s'écria: « Il a raison, les protes

tants n'ont rien de beau. »

Nous croyons inutile d'expliquer que le courageux Vénitien, en ce moment défenseur peut-être téméraire des intérêts de la Péninsule, et la représentant ici dans cette intrépide mission qu'il se donnait à lui-même devant le Jupiter italique; il est inutile de remarquer que le grand Canova avait un but, un but noble et généreux. Toutes ces paroles n'étaient pas proférées au hasard. Il voulait que la conversation tombât sur la situation déplorable où se trouvait le pape Pie VII, son bienfaiteur, et l'on pourrait dire son ami.

A un autre entretien, tout en ne paraissant porter attention qu'aux traits de l'impératrice et aux lignes douces et fines de sa figure, Canova parla tout à coup du saint-père. Les premiers mots qui lui échapperent furent si forts, qu'il craignit un moment d'avoir commis une imprudence impardonnable; mais le sourcil de Napoléon n'avait pas annoncé l'orage. Il écoutait avec atten

tion ces reproches, qui, quoique énergiques et tendant évidemment à un but direct, étaient articulés avec un accent poli, respectueux, quelque chose du Mignard vénitien, rempli de charmes, dans une langue où le mot propre n'arrivait pas toujours à point, sans que toutefois la pensée eût rien perdu de sa valeur et d'une sorte d'incision irrésistible. L'impératrice regardait Canova avec une surprise mêlée d'une satisfaction contenue. Alors, plus encouragé, il ne s'était pas interrompu un instant; il se persuadait que l'ame de l'empereur ne devait pas. être tyrannique, et qu'il était gâté par des adulateurs qui lui cachaient la vérité. Après un autre de ces mouvements d'un artiste qui paraît ne penser qu'à étudier plus à fond son modèle (il m'a confié lui-même cette innocente malice), Canova continua ainsi : « Mais pourquoi V. M. ne se réconcilie-t-elle pas en quelque manière avec le pape? Parce que les prêtres veulent commander partout, et être maîtres de tout, comme Grégoire VII. - Il me semble, Sire, qu'il ne faut pas redouter cela à présent, puisque c'est Votre Majesté qui est maîtresse de tout en Italie.-Les papes ont toujours tenu très-bas la nation ítalienne, même quand ils n'étaient pas maîtres à Rome à cause des factions des Colonna et des Orsini. — Certainement si les papes avaient possédé l'audace de V. M., ils ont eu de beaux moments pour se rendre maîtres de l'Italie. C'est cela qu'il faut, monsieur, dit Napoléon en touchant son épée, c'est cela qu'il faut avoir. Vous avez raison: nous avons vu que si Alexandre VI avait vécu plus longtemps, Borgia, duc de Valentinois n'avait pas mal commencé ; et Jules II aussi et Léon X en donnèrent de bonnes preuves: mais généralement on élisait pour papes des cardinaux vieux; et si un de ces papes avait l'humeur entreprenante, l'autre avait le caractère reposé. Il faut l'épée. - Non pas l'épée seulement, mais avec elle le lituus (*). Machiavel lui-même, dans

(*) Le lituus est le bâton recourbé que portaient les augures.

« ZurückWeiter »